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Au Bénin, un Sénat pour formaliser le rôle des « sages »

Alors que le Bénin fait face à des défis pressants en matière de santé, d’éducation et d’emploi des jeunes, une proposition de révision constitutionnelle portée par deux députés de la majorité présidentielle suscite la controverse. Elle vise à créer un Sénat, composé en grande partie d’anciens dirigeants et de personnalités nommées. Présenté comme un gage de stabilité et de continuité politique, ce projet est dénoncé par l’opposition comme une tentative de verrouillage institutionnel et de musellement du débat démocratique.

POLITIQUE
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Image officielle de l'esplanade de l'Amazone. @Présidence du Bénin
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Le 31 octobre 2025, deux députés de la majorité présidentielle — Assan Séïbou du Bloc républicain et Natondé Aké de l’Union progressiste le Renouveau — ont déposé au Parlement une proposition de révision de la Constitution visant principalement à introduire la création d’un Sénat au Bénin. Selon les auteurs, cette initiative répondrait à un « vide institutionnel » que le pays traînerait depuis la Conférence nationale de 1990.

Assan Séïbou défend l’idée d’une institution de sages, capable de jouer un rôle de médiation et de conseil dans les moments de tension nationale. « Chaque fois qu’il y a une situation, nous faisons appel à nos anciens chefs d’État… Il faut trouver un creuset où ils peuvent se retrouver tous. Et ça s’appelle le Sénat », a-t-il déclaré, insistant sur la nécessité d’offrir un cadre officiel d’expression à ces anciens dirigeants dont les interventions se font aujourd’hui « de manière informelle et sans ancrage institutionnel ».

De son côté, Natondé Aké présente le projet comme une évolution démocratique naturelle en soulignant que le Sénat serait « la Chambre haute du Parlement », appelée à offrir une lecture plus juste, plus équilibrée et plus approfondie des lois, notamment celles touchant aux questions politiques sensibles. Dans sa vision, cette seconde chambre permettrait de renforcer la qualité du travail législatif et de limiter la précipitation dans l’adoption de certaines réformes.

Le député Victor Topanou, quant à lui, va plus loin. Il voit dans la création du Sénat un moyen de rééquilibrer les pouvoirs, estimant que l’actuelle architecture institutionnelle donne une prééminence excessive à l’exécutif. Pour lui, une Chambre haute, composée de personnalités expérimentées et moins soumises aux pressions partisanes, pourrait contribuer à ramener une respiration démocratique dans le fonctionnement des institutions.

Principales dispositions du projet de loi

La proposition de loi soumise prévoit plusieurs changements majeurs du bloc constitutionnel de décembre 1990:

  • Trêve politique (art. 5-1) : instaure une période « de trêve des activités de compétition politique » après l’élection présidentielle. Durant celle-ci, les partis doivent soutenir les actions du président et « l’animation du débat politique à finalité compétitive est suspendue ». Le Sénat est chargé de veiller au respect de cette règle.
  • Nouveaux droits de propriété (art. 22 modifié) et serment présidentiel : précision que le serment sera désormais reçu « par la Cour constitutionnelle et le Sénat ».
  • Création du Sénat (Titre V) : le texte énumère ses missions. Parmi celles-ci, le Sénat doit « garantir la sauvegarde et le renforcement des acquis du développement de la Nation, de la défense du territoire et de la sécurité publique », veiller à la stabilité politique et la « continuité de l’État ». Il doit promouvoir des valeurs et mœurs politiques favorisant l’intérêt supérieur de la Nation, l’unité et la cohésion sociales, ainsi que le développement durable. En matière législative, il aura un pouvoir de délibération a priori sur les « projets ou propositions de loi à caractère politique » (organisation du pouvoir, finances publiques, sécurité). Il pourra demander une seconde lecture de toute loi votée par l’Assemblée nationale : si celle-ci écarte le Président, le texte reviendrait alors au Sénat en lecture définitive.
  • Composition du Sénat : il serait composé en majorité de « membres de droit » sans élection. Sont cités : les anciens présidents de la République, anciens présidents de l’Assemblée nationale, anciens présidents de la Cour constitutionnelle et anciens chefs d’état-major des forces de défense et de sécurité. À ceux-ci s’ajouteraient des membres désignés par le président de la République et le président de l’Assemblée nationale (jusqu’à 1/50 des membres de droit). Aucun sénateur ne pourrait avoir plus de 90 ans (limite portée à 95 ans pour les membres de droit déjà âgés lors de l’installation).

A noter donc que ce Sénat projeté ne ressemble pas à une chambre haute élue classique. Il concentre l’essentiel du pouvoir sur des « anciens » dirigeant (ex-présidents, chefs militaires) réunis par constitution.

Selon plusieurs observateurs, cette configuration créerait une chambre non élue, dominée par des figures directement ou indirectement liées au pouvoir exécutif. Pour eux, si l’on additionne les membres de droit et les nominations politiques, la majorité des sièges du Sénat serait acquise au pouvoir exécutif.

« Nous aurions environ 14 membres de droit : 2 anciens présidents de la République, 4 anciens présidents de l’Assemblée nationale, 3 anciens présidents de la Cour constitutionnelle et 5 chefs d’état-major. À ces 14 s’ajouteraient 6 membres désignés (3 par le Président, 3 par le Président de l’Assemblée nationale), soit 20 au total — dont 11 directement sous contrôle du pouvoir, car les chefs d’Etat Major sont directement sous ordre présidentiel », font-il savoir.

Cette majorité garantirait, à les croire, une domination totale du Président sur la future chambre haute. Le Sénat deviendrait dès lors un “cabinet politique constitutionnalisé” au service du chef de l’État.

Formaliser la « sagesse » des anciens

Du côté de la majorité, on défend l’idée que le Sénat permettra de rationaliser l’« arrangement » informel existant actuellement. Assan Séïbou met en avant le recours fréquent aux anciens dirigeants « personnes-ressources d’expérience » lorsque surviennent des crises au Bénin. Selon lui, l’absence de cadre institutionnel officiel pour ces consultations crée un vide qu’il faut combler : « Il y a quelque chose qui manquait dans le dispositif institutionnel du pays » Créer un Sénat, disent les initiateurs, offrirait un forum stable pour faire siéger ensemble ces personnalités et étudier sereinement les questions sensibles.

Plus largement, les partisans parlent de « stabilité politique », d’unité et de consensus. Ils soulignent que le Sénat garantirait la continuité de l’État, la cohésion nationale et un débat moins « politicien » au profit du développement. C’est aussi, à leurs yeux, une manière de revaloriser l’expérience des anciens présidents et hauts responsables dans le pilotage du pays.

Sur le plan législatif, ils insistent sur le rôle d’arbitrage du Sénat. Celui-ci examinerait a priori les lois politiques (organisation des pouvoirs, sécurité, budget) pour y apporter une expertise, et pourrait réclamer une nouvelle lecture des lois déjà adoptées par les députés si besoin. Natondé Aké rappelle que dans « presque tous les pays du monde » un Sénat est la Chambre haute du Parlement permettant une étude plus approfondie des textes. Ce serait, en somme, un « organe qui manquait » au corpus législatif béninois.

Craintes d’autoritarisme et de déséquilibres

Ce projet suscite en revanche de vives critiques. Principal parti d’opposition, Les Démocrates (dirigé par l’ex-président Boni Yayi) rejettent formellement la révision. Guy Dossou Mitokpè, porte-parole du parti, dénonce une initiative « inopportune » qui « ne reflète ni les aspirations du peuple béninois ni les exigences de la démocratie pluraliste ». Il appelle les membres de son parti à s’opposer à toute modification de la Loi fondamentale dans le climat actuel.

D’autres observateurs dénoncent surtout l’esprit anti-démocratique de certaines mesures. Pour Christian Kindjanhoundé, analyste politique, c’est le « timing » de ce projet en fin de mandat qui inquiète et son coût budgétaire élevé. Il critique en particulier l’article 5-1, qui impose aux partis de « converger » vers l’action du président élu, au prix d’une suspension du débat contradictoire. Pour ce dernier, cela « ferme les voies de respiration » et bride « l’expression d’opinions divergentes, essentielles à tout système démocratique ». Mieux, le Sénat pourrait attaquer directement la prérogative des députés. « On est en train d’assassiner le pouvoir d’un élu », affirme-t-il, en ce que l’Assemblée nationale verrait ses lois potentiellement renvoyées en seconde lecture par une instance non élue.

Cette logique de pouvoir héréditaire inquiète aussi d’autres citoyens qui estiment que le Bénin « n’a pas besoin d’un Sénat » au vu de sa taille et de l’importance déjà « importante » de l’Assemblée nationale. Ces derniers craignent surtout que la nouvelle chambre n’augmente indûment le poids politique d’anciens chefs d’État rejetés par le peuple. Plusieurs appellent le président Talon à ne pas promulguer la loi même si elle était votée, la qualifiant de coup de force électoral.

Le ton est d’autant plus alarmiste que certains opposants voient dans cette révision une manœuvre pour verrouiller le pouvoir avant la présidentielle 2026. L’ancien candidat à la présidentielle Daniel Edah, dans une lettre ouverte, dépeint le projet comme une tentative de « museler le peuple » et d’instaurer un « système de monolithisme politique rappelant tristement » l’ancien régime marxiste du PRPB. Il affirme qu’il créerait des « avantages à vie pour ceux à qui le pays a déjà tout donné, et offrirait un refuge politique à ceux que le peuple aurait rejetés ». Enfin, Daniel Edah accuse en ce projet de porteur d’« instabilité institutionnelle et d’insécurité juridique », estimant qu’il détruirait la confiance démocratique et pourrait décourager les investissements étrangers.

Un modèle unique

La proposition béninoise s’écarte des pratiques habituelles dans la région. En Afrique, quelques États ont une chambre haute, mais leur composition diffère largement. Dans de nombreuses démocraties (Nigéria, Afrique du Sud, etc.), le Sénat est une assemblée élue ou issue du fédéralisme (par exemple, les États fédérés au Nigéria). Dans d’autres pays, le Sénat a un rôle plus symbolique ou corporatiste. Le Rwanda, par exemple, est bicaméral et permet exceptionnellement aux anciens chefs d’État de devenir sénateurs à leur demande. Mais ils n’y siègent que s’ils en formulent la requête (ce n’est pas automatique). Dans cet esprit, la proposition béninoise s’éloigne de l’option rwandaise en intégrant d’office tous les ex-présidents dans le Sénat.

Autre exemple, le Sénégal a connu un Sénat, mais l’a purement supprimé pour réduire les dépenses publiques. Créé en 1999, le Sénat sénégalais a été aboli dès 2001, rétabli en 2007 puis supprimé de nouveau en 2012 sous Macky Sall afin d’économiser son budget. Ce cas prouve que le bicamérisme n’est pas considéré indispensable partout en Afrique de l’Ouest, surtout pour les petits pays. Au Bénin, pays relativement petit et traditionnellement monocaméral, les opposants soulignent justement qu’il ne s’agit pas des États-Unis ou d’une grande fédération.

Ainsi, le Sénat proposé pour le Bénin se rapproche davantage de chambres consultatives d’anciens dirigeants (comme le « Sénat » du Congo-Brazzaville, où le président actuel est membre à vie) que de la chambre haute classique. On notera enfin que les pays à régime présidentiel établissent rarement un Sénat aux membres non élus, car cela crée un double pouvoir législatif.

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