Dans la nuit du 26 mai 2025, le rappeur togolais engagé Amron (de son vrai nom Essowè Narcisse Tchalla) a été interpellé à son domicile d’Agoè-Assiyéyé (banlieue nord de Lomé). Selon plusieurs témoignages et communiqués de la société civile, une cinquantaine d’agents de forces de sécurité lourdement armées ont fait irruption vers 21h-23h sans présenter de mandat d’arrêt.
Le chanteur, qui n’a opposé aucune résistance, a été emmené loin de sa famille, sans que son lieu de détention ne soit communiqué. L’opération, qualifiée de « kidnapping d’État » par les opposants, viole le code de procédure pénale togolais qui interdit les arrestations domiciliaires entre 18h et 6h. Selon sa famille, l’artiste aurait été accusé de « souffrir de démence », assertion démentie par ses proches. Aucun représentant du gouvernement n’a commenté publiquement les motifs exacts de cette interpellation, mais des avocats proches du pouvoir évoquent le viol des articles 290 et 301 du code pénal (diffamation et outrage aux institutions). Dans l’heure qui a suivi, des réseaux sociaux togolais ont vu fleurir les questions « Où est Amron ? » et les appels à libération, laissant entendre que le pouvoir craint sa voix contestataire.
Amron, alias Aamron, est né à Kara (région de la Kara) dans le nord du pays. Fils d’un officier supérieur des forces armées togolaises, il s’est fait connaître dès la fin des années 2000 comme l’une des voix montantes du rap togolais des années 2010. Révélé au public en 2009 par un single éponyme, il sort en 2010 un premier album Black Boys (16 titres), dont le clip-titre décroche le prix de la meilleure vidéo aux Togo Hip Hop Awards de l’année. En 2011 son tube « Alléluia tout baigne » lui vaut les distinctions de meilleur rappeur et meilleure vidéo lors des All Music Awards togolais.
Au fil des années, Amron a développé un rap combinant mélodies entraînantes et textes revendicatifs. Son style musical, marqué par la dénonciation de la misère sociale, du chômage des diplômés et du clientélisme au sein de l’État, lui a valu d’être considéré comme « l’un des artistes les plus talentueux de sa génération ». Devenu chroniqueur de sa génération, il « incarne la colère et la frustration d’une jeunesse urbaine » confrontée à un avenir incertain. Très présent sur les réseaux sociaux – en particulier des sessions live vidéo sur TikTok – il s’adressait directement à un public jeune en interpellant les dirigeants sur les inégalités et la corruption.
Des prises de position controversées
Depuis plusieurs mois, Amron n’hésitait pas à critiquer vertement le régime Gnassingbé. Par ses vers et ses allocutions en ligne, il fustigeait les « dérives scandaleuses » du pouvoir. Dans l’une de ses vidéos les plus virales, il lançait :
« Le Togo appartient à tous, et le peuple en est le seul souverain. Où sont passés les 1 500 milliards de F CFA de prêts évoqués par le ministre Gnakadé ? Pourquoi n’y a-t-il aucun hôpital de référence dans nos régions ? »
Il reprochait au Président du Conseil des ministres (posture détenue par Faure Gnassingbé) d’avoir « trahi la jeunesse togolaise » en protégeant les auteurs de détournements de fonds publics nommés dans les rapports officiels (Cour des comptes, ITIE, Transparency International). Dans une autre vidéo quelques jours avant son arrestation, Amron mettait au défi le pouvoir :
« J’ai lu ces rapports. Ils révèlent des détournements flagrants. Pourtant, les coupables sont toujours en liberté… Mais s’ils veulent m’arrêter, je suis là. Qu’ils viennent à Agoè-Assiyéyé ! ».
Selon le Journal du Togo, ses critiques « au vitriol » sur les réseaux sociaux l’avaient fait passer pour un « porte-voix des sans-voix », appelant la jeunesse « à secouer le joug d’un régime qui, depuis 58 ans, s’accroche au pouvoir comme une bernique ». Ses chansons dénonçant le chômage, les inégalités et l’immobilisme politique faisaient souvent office de « cri du cœur » mobilisateur auprès de ses auditeurs. Toutes ces prises de position publiques, assorties de hashtags comme #TogoDebout, ont visiblement irrité les autorités togolaises.
Réactions et mobilisation
L’arrestation d’Amron suscite une vague d’indignation au sein de l’opposition togolaise, de la société civile et dans l’opinion publique. Dans un communiqué ferme, l’Alliance Nationale pour le Changement (ANC) a dénoncé un « kidnapping politique », implacable envers le pouvoir en place, et exigé la libération immédiate d’Amron et de tous les « prisonniers politiques ». Me Isabelle Ameganvi, vice-présidente de l’ANC, juge cet acte emblématique d’une volonté de « réduire au silence tous ceux qui dénoncent l’oppression et l’injustice ». Le front citoyen « Touche pas à ma Constitution » (coalition de collectifs pro-démocratie) dénonce quant à lui « une dérive autoritaire de plus » et a lui aussi réclamé la libération sans condition d’Amron.
De nombreuses autres voix se font entendre hors du Togo. La Diaspora togolaise de Belgique (DTB), par exemple, dénonce l’arrestation « sans mandat légal » d’un artiste engagé, qualifiant l’opération de violation flagrante des droits fondamentaux et appelant à sa libération rapide. Des ONG de défense des droits humains font remarquer que plus d’une centaine de personnes seraient aujourd’hui détenues au Togo pour leurs opinions politiques ou leurs activités civiques.
Aussi, la Conférence des évêques du Togo a rompu son silence traditionnel. Dans un message du 26 mai, les prélats ont mis en garde contre un risque de « déflagration imprévisible » résultant de l’étouffement prolongé de l’expression populaire.
Sur les réseaux sociaux, la mobilisation est forte et les hashtags #FreeAmron et #TouchePasAMaConstitution ont rapidement été adoptés par de nombreux internautes et militants, signe de l’ampleur de la protestation numérique. Des vidéos de soutien au rappeur tournent en boucle, et l’affaire attire même l’attention de quelques médias internationaux.