Sommet de la CEDEAO : un tournant entre crises politiques et relance économique
Les chefs d’État et de gouvernement de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) se sont réunis en sommet ordinaire à Abuja ce dimanche 14 décembre. Au cœur de l’ordre du jour figuraient les récents bouleversements régionaux – coup d’État en Guinée-Bissau, putsch manqué au Bénin, crise au Sahel – ainsi que les grands enjeux économiques de la sous-région. Pour de nombreux dirigeants, ce rendez-vous s’est déroulé dans un climat de « tolérance zéro » vis-à-vis des changements anticonstitutionnels, réaffirmant l’engagement de la CEDEAO pour le rétablissement des autorités civiles légitimes.

SOMMAIRE
Le sommet a été organisé dans un contexte de fortes turbulences. Les chefs d’État ont dressé le bilan de la crise bissau-guinéenne déclenchée le 26 novembre, où l’armée a renversé le président Umaro Sissoco Embalo. Ils ont réaffirmé que l’élection présidentielle du 23 novembre, initialement remportée par Embalo, avait été jugée « libre et transparente », avant d’appeler au retour rapide à l’ordre constitutionnel. Parallèlement, la tentative de putsch du 7 décembre au Bénin a été condamnée sans réserve.
Les dirigeants ouest-africains ont salué la rapide intervention des forces loyalistes (avec l’appui de troupes nigérianes, ivoiriennes, ghanéennes et sierra-léonaises) qui a permis de rétablir le gouvernement, mettant l’accent sur la nécessité de préserver la stabilité avant les élections présidentielles béninoises de 2026. Sur le plan diplomatique, ce sommet se déroulait alors que le dialogue est rompu avec l’Alliance des États du Sahel (AES) – coalition informelle du Mali, du Burkina Faso et du Niger, qui ont quitté l’organisation en 2023. Les ministres sahéliens ont rappelé en novembre leur mécontentement, et l’absence de représentants de ces pays à Abuja témoigne d’un fossé persistant dans l’espace ouest-africain.
Principales décisions politiques
Les dirigeants ont réaffirmé leur ferme attachement au processus démocratique. Le communiqué final lu par le président de la Commission, Omar Alieu Touray, insiste sur la « tolérance zéro » de la CEDEAO envers tout coup d’État. Pour la Guinée-Bissau, les chefs d’État ont rejeté à l’unanimité le programme de transition militaire proposé par la junte et exigé le rétablissement d’un gouvernement civil aussi rapidement que possible. Ils ont plaidé pour une transition courte, inclusive des forces politiques locales, et exigé la libération immédiate de tous les détenus politiques liés au coup. Afin de garantir ce retour à l’ordre constitutionnel, la conférence a confirmé qu’elle autoriserait sa force régionale à protéger les institutions civiles et les leaders politiques en Guinée-Bissau. En cas de non-respect des directives, toute personne entravant la transition s’expose à des « sanctions ciblées ».
Au Bénin, le putsch déjoué a été dénoncé sans équivoque. La CEDEAO a salué la mobilisation rapide de sa force en attente; quelque 200 soldats nigérians et ivoiriens étaient déjà déployés à Cotonou dans un rôle d’« appui, de nettoyage et de ratissage » après l’échec du coup d’État. Des renforts supplémentaires (Ghana, Sierra Leone) étaient annoncés pour soutenir les opérations, ce qui traduit la solidarité régionale. Les chefs d’État ont salué ces interventions comme un exemple d’action collective réussie et ont promis de maintenir la pression diplomatique sur toute tentative de déstabilisation.
Sécurité et enjeux économiques
La sécurité, en particulier dans le Sahel, a constitué l’autre volet majeur du sommet. Les dirigeants ont rappelé que les trois pays sahéliens (Mali, Burkina, Niger) avaient formé l’AES après avoir quitté la CEDEAO, faisant obstacle à une gestion commune des crises. Ils ont insisté sur le caractère transfrontalier des menaces jihadistes et comme l’a souligné le président sierra-léonais Julius Maada Bio, « aucune frontière ne peut nous isoler de la violence ».
La nécessité de poursuivre des discussions avec l’AES sur la coopération sécuritaire a été affirmée, même en l’absence des régimes militaires sahéliens. Au sommet d’Abuja, la CEDEAO a réitéré son engagement à faire face à ces défis, et le communiqué final a inclus l’examen approfondi des rapports de sécurité régionale (tentatives de putsch, zones de conflit, etc.).
Les questions économiques figuraient également parmi les priorités. Les délégations devaient étudier le rapport annuel 2025 de la CEDEAO et débattre du renforcement de la libre circulation et du commerce intra-régional. Dans ce cadre, plusieurs initiatives phares ont été adoptées ou relancées et la plus marquante concerne le transport aérien. La Commission a annoncé qu’à compter du 1ᵉʳ janvier 2026, toutes les taxes non aéronautiques seraient supprimées et les redevances passagers et de sécurité réduites de 25 %. Cette réforme fiscale vise à réduire d’environ 40 % le coût des billets d’avion en Afrique de l’Ouest, améliorant la connectivité régionale.
Aussi, la CEDEAO a organisé cinq réunions thématiques (commerce électronique, services, agriculture, environnement, sécurité alimentaire) dans les jours précédant le sommet pour accélérer l’intégration économique et agricole régionale. Enfin, les chefs d’État ont renouvelé leur soutien au Schéma d’intensification des échanges (STC/ETLS) – le programme de libre-échange ouest-africain – afin de dynamiser le commerce intra-zone.
Diplomatie et projets
La plupart des États membres ont été représentés à haut niveau. Outre Julius Maada Bio (Sierra Leone, président en exercice de la CEDEAO) et John Mahama (Ghana) mentionnés plus haut, on comptait notamment le président gambien Adama Barrow ainsi que les présidents Bassirou Diomaye Faye (Sénégal) et Faure Gnassingbé (Togo). Le président Diomaye Faye est arrivé à Abuja le 13 décembre et a été accueilli avec honneurs militaires. La Côte d’Ivoire était représentée par son vice-président Tiémoko Meyliet Koné. En revanche, le président nigérian Bola Tinubu, sous tension dans son propre pays, a délégué cette fois son vice-président Kashim Shettima. Les présidents de Guinée et de Guinée-Bissau ayant été suspendus, ni Conakry ni Bissau n’avaient de représentants officiels au sommet. Dans l’ensemble, les chefs d’État ont souligné l’importance de maintenir l’unité communautaire pour faire face aux défis multiples.
Plusieurs initiatives concrètes ont été actées. Comme annoncé par Dakar le jour même, le Sénégal assurera la présidence de la Commission de la CEDEAO pour la période 2026-2030, un premier pour ce pays. Ce mandat devra concrétiser les réformes décidées et porter la vision d’intégration régionale mise en avant par son président Bassirou Faye. Par ailleurs, le sommet a validé la répartition des portefeuilles clés de la Commission entre les États membres (par exemple, le Nigeria devient vice-président de la Commission) et a approuvé des partenariats stratégiques (notamment le soutien à la candidature du Ghana au poste de président de la Commission de l’UA en 2027). Au-delà de l’organisation elle-même, le sommet a encouragé le financement de projets transversaux : il est prévu de soutenir des programmes d’éducation et de formation, en particulier pour la jeunesse, comme l’a souligné Julius Maada Bio lors de son allocution finale.

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