Le jeudi 29 mai 2025, les députés ont adopté une résolution autorisant l’ouverture d’une instruction judiciaire contre Constant Mutamba. Cette décision fait suite à une requête du Procureur général près la Cour de cassation, Firmin Mvonde, qui demandait la levée de l’immunité du ministre de la Justice.
Mutamba est visé par des accusations de détournement de fonds liés à la construction d’une prison à Kisangani. Selon le rapport parlementaire, il est soupçonné d’avoir détourné environ 19 millions USD (sur un total de 39 millions) destinés à ce projet. La commission spéciale ad hoc a entendu le ministre et le procureur, puis recommandé au plénum de lever l’immunité afin que la justice puisse instruire les faits.
Âgé de 37 ans, Constant Mutamba est l’un des plus jeunes membres du gouvernement. Né le 24 avril 1988 à Luputa (province de Lomami), il est de formation avocat au barreau de Kinshasa et a exercé comme mandataire en mines et carrières. Président du regroupement politique DYPRO, il s’était présenté comme candidat à l’élection présidentielle de 2023 sous cette bannière. En juin 2024, le président Félix Tshisekedi l’a nommé ministre d’État, Garde des Sceaux, à la Justice. Mutamba s’était fait connaître par ses prises de position martiales contre la corruption et même par des enquêtes ciblées contre des dignitaires de l’ancien régime.
La levée d’immunité a été votée par 17 voix pour, 2 contre et 2 abstentions (sur 21 députés présents). Le rapporteur de la commission parlementaire a souligné la gravité des faits, évoquant dans son rapport des « contradictions » et des « zones d’ombre » empêchant la manifestation de la vérité. Au sein du Parlement, certains députés (notamment Willy Mishiki et Fontaine Mangala) avaient déjà interpellé Mutamba en mai 2025 pour exiger des éclaircissements sur le décaissement supposé des fonds et l’attribution du marché à Zion.
Dans l’Est du pays, plusieurs organisations de la société civile de Kisangani dénoncent « l’opacité » du projet et réclament la publication des contrats pour lever tout soupçon. Le gouvernement central, par la voix de la Première ministre Judith Suminwa, avait gelé le marché litigieux en attendant un arbitrage interne. Par ailleurs, l’Association africaine pour la défense des droits de l’homme a appellé à la prudence. Selon cette ONG, Mutamba « doit être poursuivi s’il a détourné », mais il doit aussi être soutenu si les accusations ne sont que manœuvres politiques.
Le projet de prison de Kisangani
Le projet contesté à Kisangani (province de la Tshopo) visait à édifier une nouvelle prison moderne. Son coût total était estimé à environ 39 millions USD, financés par le FRIVAO (Fonds de réparation des victimes). Le contrat a été attribué sans appel d’offres à la société Zion Construction SARL (créée en mars 2024). D’après le Procureur, « un virement initial de 19 millions de dollars a été effectué sur un compte bancaire ouvert la veille » du paiement, un schéma inhabituel portant à croire que les procédures normales ont été contournées. Face au tollé, le cabinet de la Première ministre a demandé de surseoir au marché en cours et exigé la transmission de tous les documents du dossier. Le ministère des Finances, pour sa part, a déclaré qu’« aucun décaissement » n’avait été enregistré à ce stade, contredisant ainsi l’existence d’un paiement effectif pour cette prison.
En RDC, les ministres en exercice bénéficient d’une immunité de fait qui interdit tout acte judiciaire sans accord du Parlement. La Constitution et les lois organiques prévoient que la Cour de cassation est compétente pour juger les infractions des membres du gouvernement, à l’exception du Premier ministre, à condition préalable que l’Assemblée nationale ait autorisé les poursuites. Ainsi, la décision prise le 29 mai par la Chambre basse (vote à majorité absolue) est une condition nécessaire pour instruire Mutamba.
Selon le droit congolais, « la décision de poursuites ainsi que la mise en accusation des membres du gouvernement […] sont votées à la majorité absolue des membres composant l’Assemblée nationale ». Tant que ces conditions n’ont pas été remplies, le ministre conserve son statut et ne peut être entendu par la justice. Avec la levée d’immunité désormais obtenue, Mutamba reste formellement présumé innocent, mais il est désormais astreint aux mêmes poursuites qu’un citoyen ordinaire en cas de mise en examen.
La République démocratique du Congo figure régulièrement parmi les pays perçus comme très corrompus. De nombreux observateurs notent que les « affaires de corruption impliquant de hauts responsables sont fréquentes, mais rarement poursuivies ». Cette culture d’impunité nourrit le scepticisme de la population. Dans ce contexte, le dossier Mutamba est suivi comme un baromètre et sa conclusion pourrait être un « test décisif » pour l’indépendance de la justice congolaise.