À Parakou le week-end dernier, le ministre Paulin Akponna a pris la parole, non pas pour vanter les projets en cours, mais pour dénoncer un scandale latent. Devant des citoyens excédés par l’absence d’eau et d’électricité, il a évoqué un « siphonnage du budget national » de plusieurs dizaines de milliards, qu’il qualifie de « criminel ». Dans le viseur, une gestion jugée calamiteuse du ministère de l’Eau et des Mines, autrefois dirigé par Séidou Adambi. Un nom qu’il n’a pas cité, mais que tout le monde a reconnu. Et c’est là que commence le malaise car les deux hommes sont tous membres du même parti de la mouvance présidentielle, le Bloc Républicain (BR).
Ce 21 juin à parakou, l’exercice exécuté par le ministre Akponna apprait comme une dénonciation politique sous drapeau officiel. Il a clairement rappelé qu’il était ministre-conseiller en charge des affaires économiques, nommé au même titre que d’autres ministres-conseillers, et qu’il s’exprimait donc en représentant du pouvoir central. Il a même mentionné avoir mobilisé les directeurs départementaux et régionaux concernés pour apporter des solutions concrètes. On peut donc difficilement soutenir qu’il parlait uniquement en militant politique.
C’est donc sous sa casquette de Ministre de l’Energie, de l’Eau et des Mines qu’il a fait cette sortie. Mais dans ce discours officiel s’est glissée une charge politique, celle d’une critique directe de figures de la mouvance qui, selon lui, ont saboté les efforts du régime et trahi la confiance du président Talon. Ce double registre – technique et militant – rend sa prise de parole d’autant plus puissante.
Surtout que la situation évoquée rappelle cruellement le scandale PPEA II sous Boni Yayi. Entre 2013 et 2015, un programme financé à hauteur de 43,6 milliards FCFA avait vu disparaître plusieurs milliards, révélant des failles systémiques dans la gestion des fonds publics. Des sanctions avaient été annoncées, mais au final, aucun responsable n’a été condamné. En reprenant le mot « siphonnage », Akponna active dans les esprits cette mémoire collective de l’impunité, et laisse entendre qu’un « PPEA II bis » se joue actuellement – cette fois, sous l’ère Talon.
Quelle réaction pour le BR
Kègnidé Paulin Akponna, nommé en janvier 2025, aurait reçu une mission officieuse de la part de Patrice Talon à la tête du ministère de l’énergie, de l’eau et des mines. Selon certaines sources, il aurait été mandaté d’examiner les actes de gestion de son prédécesseur avec pour toile de fond une volonté présidentielle de freiner les ambitions d’Adambi, potentiellement en lice pour 2026. Il serait donc naïf de penser qu’Akponna a improvisé cette attaque car l’onde de choc générée par ses propos dépasse la seule querelle entre deux personnalités. En dénonçant des dérives de gestion imputables à un membre influent de son propre parti, Akponna expose aussi le Bloc Républicain à une crise interne. D’un côté, la ligne morale, qui voudrait que le parti soutienne la démarche de transparence. De l’autre, la logique de solidarité partisane, qui pousserait à protéger ses cadres pour éviter l’éclatement.
Le BR peut-il maintenir l’équilibre sans apparaître soit complice, soit divisé ?
Akponna a-t-il trahi son camp en jetant un camarade en pâture ? Ou a-t-il simplement pris ses responsabilités en révélant des faits que tout le monde connaissait sans oser les nommer ? La question divise. Dans un contexte préélectoral, où l’image du parti et la cohésion comptent autant que les résultats de terrain, cette affaire tombe au plus mauvais moment. Mais elle révèle aussi une fracture plus large de celle entre un discours de rupture affiché par le régime, et la persistance de pratiques anciennes dans les rouages de l’administration.
En effet, depuis 2016, Patrice Talon a fait de la bonne gouvernance un pilier de sa présidence. Création de la CRIET, réforme du système partisan, audits, sanctions… Le tableau est dense. Pourtant, des scandales récents (ANaTT, FNDA, SIRAT) montrent que la corruption a bien la peau dure. La sortie d’Akponna, aussi brutale soit-elle, est donc une preuve supplémentaire que des dysfonctionnements graves persistent. Reste à savoir si cette dénonciation sera suivie d’enquêtes sérieuses, ou si elle restera un simple coup d’éclat.
Quant au BR, le parti semble désormais confronté à un dilemme stratégique. Prendre acte et agir, au risque de créer une tempête interne ou minimiser et temporiser, au risque de décrédibiliser son engagement éthique. Dans les deux cas, il devra s’expliquer. Et si les propos d’Akponna ne sont pas suivis d’actes concrets, la population pourrait y voir une énième instrumentalisation politique, où la transparence sert davantage à régler des comptes qu’à assainir le système.