À Parakou, malgré des milliards investis depuis 2016 pour améliorer l’accès à l’eau et à l’électricité, des quartiers entiers restent plongés dans la pénurie. Le ministre Paulin Akponna dénonce un nouveau « siphonnage du budget national », qui rappelle de sinistres précédents comme le scandale PPEA II sous Boni Yayi. Entre règlements de comptes internes, avertissements politiques et communication de crise, ses propos révèlent bien plus qu’un simple constat d’échec.
Lors d’une descente à Parakou le 21 juin 2025, le ministre Paulin Akponna a dénoncé la mauvaise gestion des fonds publics destinés à l’eau et à l’électricité sous l’ère de l’ancien ministre Séidou Adambi. Il s’est dit attristé de voir des quartiers sans eau ni électricité malgré les « dizaines de milliards » investis depuis 2016. Il a pointé du doigt un « siphonnage du budget national » par certains acteurs locaux, accusés d’avoir détourné plusieurs milliards de francs CFA prévus pour ces projets essentiels. Ces responsables, ayant bénéficié de la confiance de l’État, auraient failli à leurs engagements en privilégiant leurs ambitions personnelles plutôt que l’intérêt collectif. Akponna qualifie même la situation de « criminelle » et promet que ces « siphonneurs », en divagation dans la nature devront « répondre de leur gestion » devant la justice.
Ce discours fait écho au scandale PPEA II survenu lors du mandat de l’ancien président Boni Yayi. Le Programme Pluriannuel d’Appui au secteur de l’Eau et de l’Assainissement (PPEA II) (2013-2015) était financé en grande partie par les Pays-Bas, pour un montant total d’environ 43,65 milliards FCFA. En avril 2015, un audit annuel révéla un détournement d’environ 3 milliards FCFA dans ce programme. Le 6 mai 2015, face à l’inaction initiale du gouvernement béninois, la ministre néerlandaise de la Coopération Lilianne Ploumen suspend la coopération bilatérale : l’aide néerlandaise fut gelée jusqu’à ce que toute la lumière soit faite sur l’affaire. Sous la pression, le ministre béninois de l’Énergie et de l’Eau de l’époque, Barthélemy Kassa, présumé impliqué, dut démissionner le 12 mai 2015 (tout en niant son implication).
Un audit international mené par le cabinet Kroll en juillet 2015 confirma l’ampleur de la fraude : 2,6 milliards FCFA de fonds néerlandais avaient été détournés dans le PPEA II, et environ 5 milliards supplémentaires avaient « disparu » via d’autres ministères. Le rapport Kroll a mis au jour un réseau de fraude impliquant des cadres de la Direction générale de l’Eau, des opérateurs privés, et a mentionné que Barthélémy Kassa, alors ministre de l’eau, était au courant des malversations sans réagir. En réaction, le gouvernement Yayi prit des mesures fortes sur le papier : Conseil des ministres extraordinaire le 27 juillet 2015 ordonnant des poursuites judiciaires contre toutes les personnes citées, la radiation des fonctionnaires impliqués, l’exclusion des entreprises complices des marchés publics et la saisine du Parlement pour traduire l’ex-ministre Kassa devant la Haute Cour de Justice. Des mandats d’arrêt internationaux furent même annoncés contre les auteurs en fuite. Ces actions énergiques convainquirent la partie néerlandaise de reprendre sa coopération. En septembre 2015, les Pays-Bas ont salué les mesures prises tout en les liant à la reprise progressive de 95 milliards FCFA d’aide prévue sur 2014-2017.
Mais malgré ce dispositif, l’issue judiciaire du scandale PPEA II a été décevante. Deux ans après l’éclatement de l’affaire, en mai 2017, le juge d’instruction a prononcé un non-lieu général. Autrement dit, aucune des personnalités inculpées n’a finalement été condamnée. Pour rappel, outre Barthélemy Kassa (ministre de l’Eau au moment des faits), 12 autres personnes – des opérateurs économiques et des cadres administratifs – étaient mises en cause. Le non-lieu a surpris et indigné l’opinion, d’autant qu’à l’époque toutes les preuves semblaient réunies pour établir la culpabilité des mis en cause. L’ancien ministre Kassa s’est publiquement félicité de la décision de justice, arguant que celle-ci confirmait son innocence. Le juge a justifié le non-lieu en révélant que le ministre de l’Eau de l’époque (Kassa) et son collègue des Finances avaient pris des arrêtés de réaffectation des crédits non utilisés du PPEA II vers d’autres dépenses (achats de fournitures informatiques, etc.). A en croire le juge, une partie des fonds n’aurait pas été « volée » mais redéployée administrativement vers d’autres postes – une explication technique qui a conduit à l’abandon des poursuites pénales. Néanmoins, pour de nombreux Béninois, cette conclusion illustre une frustration familière : « de gros scandales financiers et personne n’est puni ».
Rupture ou répétition des mêmes travers ?
L’arrivée au pouvoir de Patrice Talon en 2016 s’est accompagnée d’un discours ferme de tolérance zéro vis-à-vis de la corruption. Talon s’est présenté comme le champion de la gouvernance rigoureuse, promettant que « l’argent du Bénin n’est plus volé » sous son mandat. Son gouvernement a rapidement pris des mesures pour solder l’héritage du PPEA II et dès juin 2016, un budget rectificatif a inscrit plus de 2 milliards FCFA pour rembourser la perte subie par les Pays-Bas. En septembre 2016, un nouvel accord de financement a relancé les projets d’eau potable dans 21 communes, en instaurant un mécanisme de gestion financière plus sécurisé (désormais, les fonds ne transitent plus directement par la Direction de l’Eau mais par la Caisse autonome d’amortissement, la SONEB et les communes bénéficiaires, avec davantage de contrôles pour éviter des « marchés fictifs »). Ces mesures visaient à empêcher qu’un « PPEA II » bis ne se reproduise.
Par ailleurs, Talon a créé en 2018 une juridiction spéciale, la Cour de Répression des Infractions Économiques et du Terrorisme (CRIET), affichée comme le fer de lance de la lutte anti-corruption. Des réformes légales, telle la loi n°2018-13 renforçant la répression des crimes économiques, ont été adoptées. Sur le plan politique, il a initié la réforme du système partisan (loi sur les partis politiques, 2018) afin, dit-il, d’éviter que des individus isolés n’utilisent les ressources publiques pour asseoir des ambitions personnelles et échapper à la justice sous le couvert d’un mandat électif. C’est ce qu’a rappelé Paulin Akponna dans son discours en affirmant que désormais, aucun acteur ne pourra détourner des fonds publics et se protéger en se réfugiant à l’Assemblée nationale, car les partis sont plus structurés et vigilants. Cette référence vise clairement des cas passés où des personnalités accusées de détournement (comme Barthélemy Kassa en 2015) s’étaient fait élire députés pour bénéficier de l’immunité parlementaire – une pratique que le pouvoir actuel assure vouloir empêcher.
Toutefois, la réalité sous le régime Talon est plus nuancée qu’un simple contraste blanc/noir avec l’ère précédente. D’un côté, des progrès sont soulignés comme le classement de Transparency International qui s’est amélioré, le Bénin occupant en 2021 le 78ᵉ rang mondial (4ᵉ en Afrique) avec une note de 42/100, en nette progression depuis 2018. Cette évolution tend à montrer une perception d’une corruption en recul au Bénin. De plus, la CRIET a, dans ses premières années, infligé des peines lourdes à certains fonctionnaires véreux, créant une véritable crainte de la répression (« crietphobie ») dans l’administration.
D’un autre côté, plusieurs scandales de détournement de fonds ont continué d’éclabousser l’actualité sous le mandat de Talon, y compris impliquant des proches du pouvoir. Par exemple, en 2021-2022, des audits ou enquêtes ont révélé des malversations au Fonds national de développement agricole (FNDA), à la Société des Infrastructures Routières (SIRAT), ou encore à l’Agence nationale des transports terrestres (ANaTT). Le cas de l’ANaTT a fait grand bruit où un audit pour 2016-2020 y a mis au jour un manque à gagner de plus de 13 milliards FCFA, dû à des fraudes dans l’immatriculation des véhicules. Des poursuites ont été engagées et la CRIET a condamné en 2022 certains ex-responsables de l’ANaTT à des peines de prison (quoique beaucoup plus légères que les montants en jeu ne le laissaient espérer). Ces affaires montrent que la corruption reste endémique, y compris au sein d’agences de l’État pourtant sous la supervision du régime dit de la « Rupture ».
« la corruption semble bien résister aux mécanismes d’éradication mis en place par Patrice Talon »
Les détracteurs du gouvernement estiment que si la lutte était réellement efficace, on ne verrait pas fleurir autant de cas de détournements dans l’administration. En ce sens, certains y voient une répétition des mêmes travers du passé, certes avec de nouveaux visages, plutôt qu’une éradication totale du mal.
Le discours d’Akponna lui-même, bien que dur envers les « délinquants de la République » qui auraient caché la vérité au président Talon, est aussi un aveu implicite : des fonds publics récents (de 2016 à 2024) ont bien été détournés ou dilapidés sans que l’exécutif ne s’en aperçoive immédiatement.
Il a fallu cette visite de terrain pour constater que des quartiers entiers manquent d’eau et d’électricité alors que des budgets avaient été alloués à ces secteurs. Cela suggère une défaillance de suivi ou un excès de confiance envers certains responsables locaux, ce qui rappelle tristement le PPEA II (où l’on avait découvert tardivement le pot-aux-roses). Le parallèle est frappant car dans les deux cas, des sommes importantes destinées à améliorer l’accès à l’eau potable ont été détournées, laissant les populations sans services de base. La différence notable réside donc dans la réaction affichée. Là où le gouvernement précédent était accusé de lenteur et de laxisme (jusqu’à l’intervention des partenaires étrangers), le régime actuel met en avant sa réactivité et sa volonté de châtier les responsables. Akponna promet des solutions rapides, « dès la semaine prochaine » pour Parakou, afin de pallier les manquements constatés, preuve que le gouvernement et son parti (le Bloc Républicain) “tiennent leurs engagements” et refusent de laisser pourrir la situation.