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« De la fusion à la disparition : DCC 25-071, acte final de l’agonie juridique du PRD »

Par
Maître Gérard VILON GUEZO
Maître Gérard VILON GUEZO est Docteur en droit privé/science criminelle, Chargé d’enseignement et de recherche CRJP – Université d’Orléans, Diplômé de l’Institut Français de Géopolitique, Diplômé du Centre d’Etudes Diplomatiques et Stratégiques de Paris et Avocat à la Cour
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Depuis plusieurs semaines, l’espace public béninois est animé d’un débat juridique particulièrement intense relatif à la fusion survenue entre l’Union Progressiste (UP) et le Parti du Renouveau Démocratique (PRD), fusion ayant donné naissance, le 21 août 2022, à une nouvelle entité politique : l’Union Progressiste-Le Renouveau (UP-R). Si la pratique politique contemporaine au Bénin n’est pas étrangère aux fusions de formations partisanes, cette opération présente néanmoins des caractéristiques juridiques singulières qui méritent un examen approfondi à l’aune des principes fondamentaux du droit constitutionnel, électoral et administratif béninois.

Le protocole de fusion, signé le 21 août 2022 et officiellement enregistré par le Ministère de l’intérieur le 2 septembre suivant, avait été considéré initialement comme l’acte juridique définitif consacrant la disparition juridique des partis originels (UP et PRD) au bénéfice exclusif d’une nouvelle entité dotée de la personnalité juridique et du patrimoine politique ainsi consolidé : l’UP-R. Cette interprétation initiale paraissait d’autant plus incontestable que la Cour constitutionnelle du Bénin avait elle-même validé cette fusion dans une décision récente et remarquée (Décision DCC 25-071 du 6 mars 2025), établissant expressément que la nouvelle entité héritait de plein droit, en vertu d’une subrogation implicite, des droits, avantages, et résultats électoraux acquis par les partis fusionnés lors des élections municipales de 2020.

Cependant, contre toute attente, en mai 2025, le Ministre de l’intérieur béninois délivrait un récépissé administratif définitif au Parti du Renouveau Démocratique, semblant par là-même ignorer l’effet juridique de l’extinction découlant de la fusion validée par la Cour constitutionnelle. Cet acte administratif inattendu, immédiatement qualifié de « récépissé fantôme » par une partie de la doctrine et du débat public, a rouvert la controverse, posant frontalement la question de la coexistence problématique entre des actes administratifs subséquents et l’autorité suprême de décisions de la Cour constitutionnelle, ainsi que la conformité de telles pratiques à l’exigence impérative de sécurité juridique découlant du principe constitutionnel de l’État de droit.

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Face à cette crise de légalité institutionnelle et d’interprétation normative, les dirigeants du PRD – notamment Me Adrien Houngbédji – ont formulé plusieurs arguments destinés à soutenir la permanence juridique du PRD en dépit de la fusion. Ces arguments, fondés à la fois sur des questions statutaires internes, procédurales et terminologiques, doivent faire l’objet d’une réfutation méticuleuse, éclairée par une herméneutique rigoureuse, par les principes généraux du droit, mais également enrichie d’une analyse comparée avec des systèmes juridiques de référence sur la question des fusions politiques (notamment français, allemand et canadien).

La présente analyse entend précisément, par une démarche méthodique, rigoureusement juridique, et appuyée sur des références vérifiables, évaluer la validité des thèses avancées par les parties en présence, en déterminant avec une précision et une clarté intellectuelles, les conséquences juridiques objectives et contraignantes résultant d’une telle fusion au regard du droit constitutionnel et électoral béninois. Ce faisant, il s’agira également de lever les incertitudes que ce débat fait peser sur la fiabilité du système partisan béninois, lequel constitue l’une des pierres angulaires du processus démocratique consacré par la Constitution du 11 décembre 1990.

Cette réflexion juridique, qui transcende intrinsèquement tout clivage politique, permettra non seulement d’éclairer la communauté nationale, mais également d’offrir aux observateurs étrangers un aperçu complet, nuancé et rigoureux du cadre normatif béninois en matière de vie des partis politiques, de leur mutation et de la sécurité juridique qui en résulte.

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1. Confirmation par la jurisprudence constitutionnelle et comparée

La fusion opérée en août 2022 entre l’Union Progressiste (UP) et le Parti du Renouveau Démocratique (PRD) constitue, en droit constitutionnel béninois, une opération juridique dont les effets doivent être examinés avec une précision méthodologique rigoureuse. Cette fusion a donné naissance à une nouvelle entité juridique, l’Union Progressiste – Le Renouveau (UP-R), dont le statut et les prérogatives dérivent nécessairement de l’interprétation combinée des textes internes (Charte des partis politiques, statuts des partis concernés) et des principes généraux du droit constitutionnel et administratif béninois.

En l’état actuel du droit positif béninois, aucun texte de la Charte des partis politiques issue de la loi n°2018-23 du 17 septembre 2018, modifiée par la loi n°2019-41 du 15 novembre 2019, ne prévoit explicitement et directement que la fusion entraîne une extinction automatique et immédiate des entités fusionnées. L’article 29, alinéa 9, de ladite Charte impose uniquement aux partis politiques d’inscrire dans leurs statuts les mécanismes de fusion ou de dissolution, sans fixer lui-même les effets substantiels précis qui en découlent. Ainsi, le législateur béninois, par cette disposition, se limite à renvoyer aux statuts internes des partis le soin d’organiser la procédure concrète de leur fusion, laissant à la jurisprudence le rôle crucial d’en préciser les conséquences juridiques exactes.

C’est précisément ce rôle déterminant qu’a rempli la juridiction constitutionnelle béninoise, à travers son arrêt particulièrement décisif DCC 25-071 du 6 mars 2025, qui fait désormais référence sur la question des effets juridiques des fusions politiques. Dans cette décision majeure, la Cour constitutionnelle a adopté une interprétation téléologique des dispositions statutaires et légales applicables, affirmant explicitement que l’UP-R « succède ipso jure » aux deux partis fusionnés, consacrant ainsi la disparition automatique du PRD et de l’UP en tant que formations distinctes, ainsi que la transmission universelle de l’ensemble de leurs droits et obligations électoraux à la nouvelle entité issue de cette fusion.

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Cette interprétation jurisprudentielle de la Cour constitutionnelle béninoise s’inscrit dans une cohérence conceptuelle avec les pratiques juridiques observées en droit comparé européen. En effet, à défaut d’une jurisprudence administrative explicite consacrée spécifiquement aux partis politiques, la plupart des États européens appliquent par analogie le régime juridique de la fusion des associations aux partis politiques, consacrant ainsi un principe juridique commun d’extinction automatique des entités fusionnées et de transmission universelle de leurs droits à l’entité nouvelle.

Ainsi, en Allemagne, la fusion (Verschmelzung) emporte la disparition juridique automatique de l’entité absorbée et la transmission universelle de son patrimoine et de ses droits, comme le prévoient expressément les articles §§14 à 20 du Code civil allemand (Bürgerliches Gesetzbuch.

Le droit italien, également clair sur ce sujet, prévoit à l’article 2504 du Code civil (Codice Civile) que la fusion entraîne, sans aucune formalité supplémentaire, l’extinction automatique des associations fusionnées au profit d’une nouvelle entité bénéficiant de tous les droits et obligations transférés.

Le Royaume-Uni, quant à lui, régit les partis politiques par le Political Parties, Elections and Referendums Act 2000, qui renvoie aux principes généraux de la fusion d’associations, entraînant nécessairement l’extinction des entités fusionnées (PPERA 2000).

Enfin, le droit espagnol consacre à l’article 22 de la loi n°1/2002 sur les associations un effet identique d’extinction automatique et de transfert universel.

Au regard de ces références européennes, la décision DCC 25-071 du 6 mars 2025 ne constitue donc pas seulement une innovation jurisprudentielle béninoise, mais s’inscrit résolument dans un contexte juridique comparé riche, témoignant d’une convergence doctrinale internationale sur la notion d’extinction automatique des partis ou associations fusionnés. Ce faisant, la Cour constitutionnelle béninoise se conforme implicitement à une pratique juridique reconnue, assurant par là même la sécurité juridique indispensable à la stabilité du système partisan et démocratique béninois.

Cette analyse démontre ainsi clairement que l’interprétation authentique fournie par la Cour constitutionnelle béninoise dans son arrêt DCC 25-071 constitue la clé de voûte de la sécurité juridique en matière de fusions politiques, écartant définitivement toute possibilité pour les partis fusionnés de revendiquer une survie juridique autonome en contradiction avec l’ordre constitutionnel interne et les principes fondamentaux universellement reconnus en droit comparé européen.

2. L’acte administratif délivré au PRD en mai 2025 : une méconnaissance manifeste du principe de sécurité juridique et de l’autorité de la chose jugée constitutionnelle

La délivrance, en mai 2025, d’un récépissé administratif définitif au Parti du Renouveau Démocratique (PRD), alors même que ce parti avait juridiquement cessé d’exister depuis la fusion validée par la Cour constitutionnelle, constitue un acte administratif dont la légalité doit être examinée avec une grande rigueur intellectuelle et juridique. Cette démarche s’impose d’autant plus qu’elle engage non seulement la validité immédiate de l’acte concerné, mais également le respect des principes fondamentaux d’État de droit consacrés par la Constitution du 11 décembre 1990 du Bénin.

Il convient, tout d’abord, de rappeler avec force que l’autorité des décisions rendues par la Cour constitutionnelle béninoise s’impose à toutes les institutions administratives, législatives et juridictionnelles, en vertu du principe cardinal d’autorité de la chose jugée constitutionnelle. La Cour, dans sa décision DCC 25-071 du 6 mars 2025, avait clairement établi que l’Union Progressiste – Le Renouveau succédait de droit à l’Union Progressiste et au PRD, emportant de fait l’extinction juridique automatique et irrévocable de ces derniers, et la transmission universelle de leurs droits électoraux acquis. Or, le récépissé délivré ultérieurement par le Ministre de l’Intérieur, par son caractère radicalement contradictoire avec l’interprétation authentique ainsi fixée par la juridiction constitutionnelle suprême, porte atteinte frontalement au principe constitutionnel d’autorité de la chose jugée.

De surcroît, l’acte administratif en question est incompatible avec les exigences élémentaires de sécurité juridique. La sécurité juridique, reconnue comme un principe fondamental par la doctrine béninoise et internationale, impose aux autorités publiques de garantir une stabilité normative et institutionnelle suffisamment claire pour permettre aux citoyens comme aux acteurs politiques de prévoir avec certitude les conséquences juridiques de leurs actes et décisions. Or, le récépissé délivré ultérieurement au PRD introduit une instabilité manifeste, en laissant subsister une formation politique juridiquement disparue, créant ainsi une incertitude préjudiciable quant à la régularité des opérations électorales futures et à la légitimité même du cadre politique issu de la fusion.

En droit comparé européen, une telle situation serait immédiatement sanctionnée.

Ainsi, en France, le Conseil d’État considère comme une atteinte manifeste à la sécurité juridique et à l’autorité de la chose jugée toute décision administrative prise en contradiction directe avec une jurisprudence établie des juridictions suprêmes, jugeant de manière constante que les autorités administratives doivent strictement déférer aux décisions des juridictions, sous peine d’annulation pour excès de pouvoir.

De même, la Cour constitutionnelle fédérale allemande (Bundesverfassungsgericht) insiste systématiquement sur l’obligation des administrations de se conformer à la chose jugée constitutionnelle pour garantir la stabilité institutionnelle, tout acte administratif contraire étant susceptible d’annulation immédiate.

Le récépissé administratif accordé au PRD par le Ministre de l’Intérieur béninois relève donc clairement d’un cas classique d’excès de pouvoir administratif, puisqu’il contredit ouvertement une interprétation juridictionnelle contraignante de la Cour constitutionnelle. Il n’est dès lors pas douteux que tout recours formé contre cet acte administratif devrait logiquement aboutir à son annulation, conformément aux principes généraux et fondamentaux du droit administratif et constitutionnel béninois.

En définitive, l’émission postérieure de ce récépissé ne saurait en aucune manière conférer une quelconque légitimité juridique à l’existence d’un parti pourtant juridiquement éteint. Au contraire, cet acte administratif est précisément celui qu’il appartient aux juridictions compétentes de censurer avec fermeté, afin de réaffirmer solennellement la primauté de la sécurité juridique et de la chose jugée constitutionnelle sur toute considération administrative accessoire ou formelle.

3. Réfutation des arguments développés par Me Adrien Houngbédji

a) L’argument tiré du récépissé administratif délivré le 26 août 2022 : une confusion manifeste entre acte déclaratif et acte constitutif

Parmi les arguments invoqués par Me Adrien Houngbédji pour soutenir la prétendue pérennité juridique du Parti du Renouveau Démocratique (PRD), figure de manière centrale la délivrance, le 26 août 2022, d’un récépissé administratif définitif par le Ministre de l’Intérieur béninois, récépissé censé attester la continuation juridique du PRD après l’opération de fusion avec l’Union Progressiste. Cet argument repose toutefois sur une confusion fondamentale entre deux catégories juridiques radicalement distinctes en droit administratif et constitutionnel : l’acte administratif constitutif et l’acte administratif déclaratif.

En effet, il est juridiquement établi, tant en droit béninois qu’en droit administratif comparé, qu’un récépissé administratif relatif à la reconnaissance d’un parti politique ou d’une association n’a aucunement la portée juridique d’un acte constitutif. Il ne crée pas lui-même un droit nouveau, mais se contente exclusivement de constater, par un acte purement déclaratif, la conformité formelle d’un dossier ou d’une procédure à certaines conditions préétablies par la législation en vigueur. Sa délivrance est dès lors soumise au strict respect du cadre juridique général, sans qu’elle puisse jamais produire par elle-même des effets contraires à une règle juridique supérieure clairement établie, a fortiori lorsqu’il s’agit d’une règle interprétée par la Cour constitutionnelle.

Ce principe de l’acte administratif déclaratif est parfaitement clair en droit comparé européen, où la jurisprudence administrative, particulièrement celle du Conseil d’État français, rappelle régulièrement que les actes administratifs déclaratifs, notamment les récépissés de dépôt délivrés aux partis ou associations, ne produisent aucun effet substantiel nouveau susceptible de modifier ou d’infirmer une situation juridique clairement définie par ailleurs par la loi ou par une décision juridictionnelle irrévocable.

 De même, la Cour administrative fédérale allemande (Bundesverwaltungsgericht) considère de manière constante que l’acte administratif déclaratif (« Feststellender Verwaltungsakt ») ne peut créer aucun droit ni aucune situation juridique nouvelle, mais seulement constater l’existence d’une situation juridique antérieure, sans possibilité de modifier celle-ci ou d’aller à l’encontre d’une jurisprudence contraignante préalablement établie.

Dans le cas béninois, cette distinction juridique s’avère particulièrement pertinente au regard de la décision DCC 25-071 du 6 mars 2025 de la Cour constitutionnelle béninoise. Cette décision a définitivement affirmé que l’Union Progressiste – Le Renouveau succédait de droit aux partis fusionnés, validant ainsi leur extinction juridique automatique et la transmission universelle des droits et obligations à la nouvelle formation politique. Dès lors, la délivrance d’un récépissé administratif ultérieur ne saurait en aucune manière constituer un acte constitutif susceptible d’écarter ou d’altérer l’effet juridique immédiat et contraignant résultant d’une interprétation jurisprudentielle explicite et définitive de la Cour constitutionnelle béninoise.

En conséquence, l’argument avancé par Me Adrien Houngbédji, fondé exclusivement sur la délivrance administrative du récépissé définitif du 26 août 2022, procède d’une erreur manifeste d’appréciation en droit. Il méconnaît ostensiblement les règles fondamentales de l’effet juridique des actes administratifs, en tentant d’attribuer à un acte strictement déclaratif une portée substantielle et constitutive qu’il ne peut pas juridiquement posséder. Cet argument doit donc être rejeté avec la plus grande rigueur, au nom même du principe constitutionnel de sécurité juridique et de l’autorité suprême de la chose jugée constitutionnelle.

b) L’argument tiré des articles 90 et 91 des statuts du PRD : une méconnaissance fondamentale du principe constitutionnel de la hiérarchie des normes

Parmi les arguments avancés par Me Adrien Houngbédji en faveur de la persistance du PRD malgré l’opération de fusion réalisée avec l’Union Progressiste, figure en bonne place la référence aux articles 90 et 91 des statuts internes du Parti du Renouveau Démocratique. Ces dispositions statutaires prévoiraient, selon son interprétation, la survie d’un « courant PRD » autonome au sein de la nouvelle formation politique, Union Progressiste – Le Renouveau (UP-R). Cependant, une analyse méthodologique et juridique rigoureuse révèle sans difficulté que cet argument repose sur une méconnaissance manifeste du principe fondamental de la hiérarchie des normes, pilier incontournable de l’ordre juridique béninois, mais aussi principe universellement reconnu dans la doctrine constitutionnelle comparée.

En effet, en droit constitutionnel béninois, le principe de la hiérarchie des normes impose que toute norme inférieure doit nécessairement se conformer aux prescriptions des normes supérieures, sans possibilité d’y déroger ou d’en atténuer la portée contraignante. Ce principe implique que les lois et règlements doivent se conformer strictement à la Constitution, et les règlements internes des partis politiques aux lois ordinaires en vigueur.

In casu, il sera rappelé que les statuts internes des partis politiques, qui relèvent juridiquement de la catégorie des actes réglementaires ou statutaires internes, ne peuvent en aucun cas déroger à une interprétation authentique du droit établie par la Cour constitutionnelle. Or, précisément, dans sa décision DCC 25-071 du 6 mars 2025, la Cour constitutionnelle béninoise a énoncé, de manière claire et incontestable, que la fusion entre l’UP et le PRD a entraîné ipso jure l’extinction automatique de ces deux partis et la transmission universelle de leurs droits électoraux et politiques acquis au bénéfice exclusif de l’UP-R.

Par conséquent, les articles 90 et 91 des statuts internes du PRD, dans la mesure où ils prétendent maintenir une entité autonome à l’intérieur même de la nouvelle formation issue de la fusion, se trouvent en situation de contradiction directe et irréductible avec une interprétation juridictionnelle explicite, définitive et supérieure énoncée par la Cour constitutionnelle. Conformément au principe de la hiérarchie des normes, ces articles statutaires doivent nécessairement être considérés comme frappés d’une nullité de plein droit, car ils violent une norme supérieure – en l’occurrence, l’interprétation constitutionnelle – qui leur est juridiquement opposable.

Cette solution rigoureuse correspond d’ailleurs parfaitement aux standards juridiques consacrés par les juridictions européennes en matière de hiérarchie normative.

En guise d’exemple, le Conseil d’État français affirme avec constance que toute disposition statutaire ou réglementaire interne qui se trouve en contradiction avec une norme supérieure, notamment une jurisprudence constitutionnelle ou administrative irrévocable, doit être annulée sans délai pour excès de pouvoir.

Identiquement, en Allemagne, la Cour constitutionnelle fédérale (Bundesverfassungsgericht) veille scrupuleusement au respect absolu de la hiérarchie des normes, censurant régulièrement tout acte réglementaire ou statutaire contraire à une norme constitutionnelle ou à une interprétation constitutionnelle définitive.

Ainsi, l’argument invoqué par Me Houngbédji, et tiré des articles 90 et 91 des statuts internes du PRD, révèle une confusion fondamentale et manifeste entre la portée normative de ces dispositions statutaires et la hiérarchie constitutionnelle qui les surplombe nécessairement. Il est donc juridiquement impossible de reconnaître une quelconque survie autonome d’un prétendu « courant PRD » au sein de l’UP-R, sauf à méconnaître gravement les exigences élémentaires et impératives du principe de hiérarchie normative et à porter atteinte à la sécurité juridique et constitutionnelle garantie par la Constitution béninoise.

c) L’absence alléguée de procès-verbal de congrès extraordinaire de dissolution : une confusion entre dissolution et fusion, et une méconnaissance de l’effet juridique de la fusion validée par la Cour constitutionnelle

Parmi les arguments soulevés par Me Adrien Houngbédji pour contester la disparition juridique automatique du Parti du Renouveau Démocratique (PRD), figure l’absence prétendue de procès-verbal émanant d’un congrès extraordinaire qui aurait dû, selon les dispositions statutaires internes du PRD, décider expressément de la dissolution du parti à une majorité qualifiée. Cet argument repose toutefois sur une confusion manifeste entre deux régimes juridiques distincts : la dissolution pure et simple d’une entité politique d’une part, et la fusion entre plusieurs entités politiques d’autre part.

En effet, la dissolution d’un parti politique, en tant qu’acte autonome, suppose généralement une décision explicite prise selon les modalités prévues par les statuts internes du parti concerné, impliquant habituellement la tenue d’un congrès extraordinaire, l’établissement d’un procès-verbal circonstancié, et l’expression d’une volonté explicite de disparition juridique totale et définitive sans continuité. En revanche, une fusion constitue une opération juridique fondamentalement différente : elle se caractérise, non pas par une dissolution pure et simple, mais par une disparition automatique de l’entité absorbée ou fusionnée, accompagnée immédiatement de la transmission universelle de l’ensemble de ses droits, obligations et prérogatives à l’entité nouvelle issue de la fusion.

La jurisprudence de la Cour constitutionnelle béninoise, précisément dans sa décision DCC 25-071 du 6 mars 2025, a explicitement confirmé ce point essentiel. En déclarant que l’Union Progressiste – Le Renouveau (UP-R) se substituait de droit aux partis fusionnés (UP et PRD), la Cour constitutionnelle a entériné, sans ambiguïté, l’effet juridique immédiat et automatique de la fusion, écartant toute nécessité de recourir à une procédure distincte de dissolution formelle préalable. Ce faisant, la Cour constitutionnelle béninoise rejoint parfaitement les conceptions juridiques dominantes en droit comparé européen, selon lesquelles la fusion politique emporte nécessairement extinction automatique et transfert universel des droits, sans aucune formalité supplémentaire.

À titre d’exemple, la Cour de justice de l’Union européenne, en interprétant les opérations de fusion de sociétés ou d’associations en droit communautaire, souligne systématiquement que l’opération de fusion entraîne une extinction automatique et immédiate des entités absorbées, sans qu’il soit nécessaire de prévoir une procédure distincte de dissolution formelle. Cette conception, fondée sur une logique juridique incontestable, trouve également écho en droit allemand (articles §§ 14-20 du Code civil allemand) et en droit italien (Codice Civile, articles 2504 à 2506), qui consacrent tous deux clairement le caractère automatique et immédiat de l’extinction des entités fusionnées et la transmission universelle de leurs droits.

En invoquant donc l’absence d’un procès-verbal de congrès extraordinaire de dissolution formelle, l’argument avancé par Me Houngbédji méconnaît de manière flagrante la nature juridique profonde de la fusion, ainsi que la jurisprudence béninoise et internationale établie en la matière. La décision DCC 25-071 du 6 mars 2025 de la Cour constitutionnelle béninoise, en consacrant explicitement la succession universelle automatique au bénéfice de l’UP-R, a définitivement tranché la question, privant ainsi de toute pertinence juridique l’exigence statutaire d’une dissolution formelle supplémentaire. Cet argument doit par conséquent être regardé comme inopérant, car reposant sur une confusion conceptuelle entre dissolution et fusion, et contredisant frontalement la sécurité juridique et l’autorité irrévocable de la chose jugée constitutionnelle.

d) La dénomination « fusion » n’affecte pas l’effet juridique d’extinction

Un des derniers arguments soutenus de manière implicite dans le débat sur la prétendue subsistance du PRD consiste à minimiser la portée juridique de l’accord signé avec l’Union Progressiste, sous prétexte que celui-ci n’aurait été qu’un simple « protocole de fusion », sans déclaration expresse de dissolution ou acte formel de liquidation. L’idée sous-jacente serait qu’à défaut d’une mention explicite de la volonté de dissoudre, ou d’un acte formel déposé à cet effet, le PRD aurait conservé son existence juridique autonome, indépendamment de la naissance de l’Union Progressiste – Le Renouveau.

Cet argument, pour séduisant qu’il puisse paraître à l’œil profane, se heurte frontalement au droit applicable ainsi qu’à la jurisprudence de la Cour constitutionnelle. Il repose en réalité sur une méconnaissance de la distinction entre l’intitulé nominal d’un acte et sa nature juridique réelle, appréciée au regard de ses effets.

En effet, les lois n°2018-23 du 17 septembre 2018 portant Charte des partis politiques en République du Bénin, et n°2019-41 du 15 novembre 2019 modifiant et complétant la première, ne comportent aucune disposition spécifique sur les effets juridiques de la fusion. Aucun article ne prévoit expressément que la fusion entraîne la dissolution automatique des partis fusionnés. L’argument d’un effet extinctif automatique ne peut donc se déduire du texte de la loi elle-même.

Toutefois, l’interprétation de cette opération juridique a été consacrée de manière souveraine par la Cour constitutionnelle, seule compétente pour trancher les différends d’ordre institutionnel. Dans sa décision DCC 25-071 du 6 mars 2025, elle affirme sans ambigüité que l’Union Progressiste – Le Renouveau a succédé de plein droit à l’Union Progressiste et au Parti du Renouveau Démocratique (PRD), suite à leur fusion.

Le fondement juridique ne réside donc pas dans la loi organique ni dans un article précis du code électoral, mais dans la jurisprudence constitutionnelle, qui dispose de l’autorité de la chose jugée. La substitution juridique de plein droit signifie que l’effet juridique – la substitution – est intervenu sans qu’il soit besoin d’un acte supplémentaire ou d’une dissolution expresse. L’approche retenue par la Cour s’inscrit dans une lecture téléologique du processus de fusion : ce n’est pas le mot utilisé qui importe, mais la nature de l’acte et les effets qu’il produit dans l’ordre juridique constitutionnel.

Dans cette logique, l’absence d’un mot comme dissolution dans le protocole de fusion ou dans une résolution du congrès ne saurait empêcher la disparition juridique du PRD, dès lors que le contenu de l’acte traduit une volonté d’absorption dans une entité nouvelle, enregistrée comme telle et validée par les organes compétents. Conformément à la théorie de l’interprétation des actes juridiques selon leur contenu substantiel, la qualification juridique d’un acte repose non sur sa dénomination formelle, mais sur l’ensemble de ses éléments objectifs et de son insertion dans le droit positif.

Cette position est d’ailleurs conforme aux standards du droit comparé, en particulier en droit public français, où le Conseil d’État rappelle que la nature d’un acte juridique ne saurait être déterminée par son seul intitulé, mais doit être appréciée au regard de son contenu et de ses effets.

Le raisonnement s’impose avec une force particulière en matière constitutionnelle : lorsqu’un acte a pour effet d’opérer la disparition d’un sujet de droit et la transmission universelle de ses prérogatives à une autre entité, cette situation relève d’une subrogation intégrale, juridiquement irréversible, dès lors qu’elle a été validée par une décision de la Cour constitutionnelle.

Dès lors, l’argument consistant à contester les effets d’une fusion au motif qu’aucune déclaration explicite de dissolution n’y figure doit être écarté avec la plus grande fermeté. Il revient à nier la force normative d’une décision constitutionnelle, à confondre les catégories juridiques, et à substituer une logique de forme à la rigueur du droit objectif.

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En définitive, le contentieux né de la fusion entre l’UP et le PRD, au-delà de ses implications partisanes immédiates, illustre la complexité des mutations politiques dans un État de droit en construction, où les règles juridiques doivent prévaloir sur les calculs de circonstance. Il est vrai que la Cour constitutionnelle du Bénin, pilier institutionnel fondamental, n’échappe pas elle-même aux suspicions récurrentes de proximité avec le pouvoir en place, notamment lorsque les intérêts politiques de la majorité convergent avec ceux des entités soutenant l’action présidentielle — comme c’est le cas de la formation née de la fusion entre le PRD et l’Union Progressiste. Ce constat, partagé par de nombreux observateurs, ne saurait être éludé.

Mais précisément, c’est dans ces contextes d’ambiguïté que la culture du droit doit s’affirmer avec la plus grande fermeté. Car même lorsqu’elle suscite la controverse, une décision juridictionnelle constitutionnelle régulièrement rendue s’impose à tous, jusqu’à ce qu’elle soit rapportée par la même autorité. La force normative du droit ne dépend ni de la sincérité supposée de ses auteurs, ni de l’équilibre du rapport de forces, mais de son acceptation comme principe de régulation des tensions sociales et politiques.

Il appartient dès lors aux acteurs politiques, mais aussi aux juristes et à la société civile, de transcender les clivages immédiats pour garantir que le droit conserve sa fonction de boussole. Car, dans un environnement régional fragilisé par les instabilités et les dérives autoritaires, seule une fidélité rigoureuse aux principes fondamentaux — hiérarchie des normes, autorité de la chose jugée constitutionnelle, prévisibilité juridique — peut préserver le Bénin d’un glissement vers la confusion des sphères juridique et politique.

La stabilité institutionnelle ne se décrète pas : elle se construit, jour après jour, par le respect du droit, même imparfaitement appliqué.

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