Au Togo, la réussite des réformes engagées par Patrice Talon au Bénin alimente la frustration et la colère d’une jeunesse togolaise en manque de perspectives. À Lomé, le contraste avec la dynamique béninoise alimente un sentiment d’injustice et fait naître une question scandée par la rue togolaise et qui dérange le pouvoir : « Si le Bénin a pu changer, pourquoi pas nous ? »
À Lomé, la capitale du Togo, des manifestations d’ampleur ont agité les rues du 26 au 28 juin 2025. Des milliers de jeunes Togolais ont protesté contre une réforme constitutionnelle perçue comme un « coup d’État légal », destinée à permettre au président Faure Gnassingbé de se maintenir indéfiniment au pouvoir. La riposte des forces de l’ordre a été violente avec au moins trois manifestants été tués selon Amnesty International (sept morts selon la société civile) et des dizaines d’autres blessés. Le mouvement de contestation, entièrement interdit par le pouvoir mais relayé par les réseaux sociaux, mobilise une jeunesse excédée. Beaucoup d’entre eux n’ont connu depuis leur naissance que les régimes Gnassingbé père et fils, qu’ils jugent responsables de « 58 ans d’héritage politique… apportant rien d’autre que pauvreté, répression et humiliation ».
Les manifestants déplorent un cadre de vie dégradé avec des pannes d’électricité récurrentes, des infrastructures routières délabrées, un taux de chômage exponentiel et des restrictions des libertés individuelles. Comme l’a résumé l’un d’eux, Kossi Albert (30 ans), « nous avons faim, rien ne marche pour les jeunes Togolais ». Ces revendications sociales s’ajoutent au rejet du nouveau statut présidentiel de Gnassingbé (promu président du Conseil des ministres sans limites de mandat).
Aussi, derrière cette colère, un motif revient sans cesse dans les discussions. Celle de la comparaison avec le Bénin voisin. Depuis 2016, Patrice Talon y mène une politique de réformes économiques et institutionnelles qui force l’admiration, bien au-delà des frontières béninoises. « Regardez le Bénin : la croissance, les routes, l’électricité, l’espoir… Ici, tout stagne. », confie un manifestant.
Un effet miroir douloureux
Plusieurs manifestants togolais interrogés soulignent le contraste de leur pays avec le Bénin voisin, dont le président Patrice Talon, au pouvoir depuis 2016, affiche neuf ans de réformes économiques et institutionnelles marquantes. Leur « modèle » est évoqué par les manifestants comme une preuve que le développement est possible dans la région. Concrètement, le Bénin cumule depuis 2016 une croissance économique soutenue (7,5 % en 2024) avec une inflation maîtrisée. La politique budgétaire rigoureuse et l’augmentation des recettes ont permis au pays de converger vers les normes régionales de déficit, tout en attirant de nouveaux investissements étrangers. Le climat des affaires béninois s’est amélioré grâce à de nombreuses réformes (bureaucratie simplifiée, guichet unique électronique pour l’investissement, dématérialisation du foncier à Cotonou, etc.). Dans le même temps, de gros chantiers d’infrastructures ont été lancés ou achevés (réhabilitation routière nationale, électrification, projets de santé et de tourisme, valorisation de sites historiques)
À Lomé, ce contraste avec le Bénin agit comme un révélateur. Beaucoup de jeunes Togolais s’interrogent et demandent pourquoi leur pays, doté de ressources comparables, ne suit-il pas la même trajectoire ? Cette comparaison attise la frustration et nourrit le rejet d’un système perçu comme figé, où alternance et modernisation restent des mots creux. Pour beaucoup, la réussite du Bénin prouve que le changement est possible en Afrique de l’Ouest. Le slogan « si le Bénin y arrive, pourquoi pas nous ? » , largement repris par les manifestants, exprime l’aspiration d’une génération à un véritable renouveau et au refus de la fatalité.
Le pouvoir togolais sur la défensive
Face à la contestation, les autorités togolaises optent pour la fermeté. Elles dénoncent une « manipulation extérieure » relayée sur les réseaux sociaux et rejettent toute responsabilité dans les morts, évoquant des « noyades accidentelles ». Cette posture a été vivement critiquée par les organisations de défense des droits humains, qui réclament des enquêtes indépendantes.