C’est une information passée largement sous les radars, mais qui devrait faire l’effet d’un électrochoc dans les sphères diplomatiques, économiques et technologiques. La messagerie professionnelle du procureur de la Cour pénale internationale (CPI), Karim Khan, a été bloquée par Microsoft.
Cette coupure, qui intervient dans un contexte de sanctions américaines à l’encontre de la CPI, prouve de manière concrète, la dépendance stratégique de nombreuses institutions européennes aux géants du numérique américains. En effet, les États-Unis ont récemment imposé des sanctions contre la Cour pénale internationale après l’émission par le procureur de la CPI de mandats d’arrêt visant des responsables israéliens, dont le Premier ministre Benjamin Netanyahou. Ainsi, Karim Khan ne peut plus accéder à ses courriels hébergés sur Microsoft, et ses avoirs bancaires ont été gelés au Royaume-Uni.
Selon Didier Testot, fondateur de La Bourse et la Vie TV, cette situation marque la fin d’une époque. « Le temps de la naïveté est terminé », estime-t-il, reprenant les mots du vice-amiral Arnaud Coustillière, ex-responsable du pôle cyberdéfense en France. Pour ce dernier, les dépendances numériques vis-à-vis des GAFAM ne sont plus un simple enjeu technologique, mais bien une menace stratégique pour la souveraineté mondiale.
Interrogée sur le sujet, Microsoft s’est défendue en expliquant que la suspension ne visait pas l’organisation dans son ensemble, mais serait le fruit de « discussions continues » avec la CPI. Un argument difficilement audible pour ceux qui y voient une mise au pas d’une institution judiciaire indépendante par une puissance étrangère via une entreprise privée.
Dans cette situation, cette affaire pose une question cruciale quand à la souveraineté stratégique de l’Europe. Peut-elle encore confier ses outils critiques – messagerie, cloud, logiciels – à des fournisseurs soumis aux lois extraterritoriales américaines comme le Cloud Act ou le FISA ? À ce jour, 70 % du cloud utilisé en Europe est opéré par des acteurs non-européens, rappelle Didier Testot, ce qui laisse peu de marges de manœuvre en cas de désaccord géopolitique.
Et si cela arrivait à une entreprise du CAC 40 ?
Au-delà du cas de la CPI, toute entreprise ou administration européenne pourrait demain se retrouver paralysée par une décision unilatérale prise à Washington et appliquée par un acteur privé du numérique. Un scénario qui, jusqu’à récemment, relevait de la science-fiction, mais qui devient une hypothèse de travail pour les directeurs des systèmes d’information (DSI) les plus lucides.
Didier Testot appelle donc les entreprises françaises, mais aussi les PME, ETI, collectivités et institutions publiques, à diversifier leurs solutions numériques. « Il faut développer des solutions locales, régionales, protégées par nos propres cadres juridiques. » Pour lui, l’intelligence économique ne doit plus être une option, mais une priorité stratégique.