Israël vient de franchir un nouveau seuil dans son escalade militaire au Moyen-Orient. Après plusieurs mois de guerre en Palestine, de colonisation en Cisjordanie, des bombardements en Syrie, au Yémen et au Liban, sans parler de l’attentat au drone, l’État hébreu a déclenché une offensive massive sur l’Iran. Netanyahou et ses alliés semblent désormais déterminés à entraîner toute la région dans une guerre totale. Dans la nuit du 12 au 13 juin, Israël a envoyé près de 200 avions de guerre ainsi que des drones pour pilonner des sites militaires et nucléaires en Iran, mais également des immeubles résidentiels. Une vaste offensive qui a décimé 78 personnes, dont des enfants, et blessé 320 autres. Parmi les victimes, plusieurs hauts responsables du régime iranien, ainsi que des scientifiques, ont trouvé la mort dans leur maison avec leur famille.
Aussitôt, Israël a activé sa machine à propagande, prétendant une fois de plus que frapper l’Iran relevait de la simple légitime défense. Le gouvernement de Netanyahou a surabondé de renseignements prouvant que Téhéran s’approchait du point de non-retour, je cite, “vers la bombe atomique”. Cela justifierait donc une attaque préventive. Le 11 juin dernier, à l’occasion d’une audition au Sénat, l’ambassadeur d’Israël en France avait rappelé les craintes de son pays à l’idée de voir le régime des Mollahs se doter de l’arme ultime. Le diplomate avait alors déclaré que “Notre but est d’empêcher l’Iran d’avoir l’arme nucléaire quoi qu’il arrive.”
Évidemment, à les écouter, cette stratégie n’a qu’un seul objectif : instaurer la paix par tous les moyens, y compris en faisant la guerre. Alors, on connaît la rengaine, c’est le pyromane qui crie au feu, et le plus alarmant, c’est sûrement que la France lui tend l’allumette. Dès le lendemain de l’attaque massive contre l’Iran, Jean-Noël Barrot, le ministre des Affaires étrangères, a repris les éléments de langage du gouvernement israélien en réaffirmant “le droit d’Israël à se défendre contre toute attaque”. Quelques heures plus tard, Emmanuel Macron a tenu sensiblement les mêmes propos. Le président français a même ajouté que si Israël devait être attaqué, la France participerait aux opérations de défense. Une perspective d’implication dans le conflit particulièrement inquiétante.
Le soutien, celui que nous avons toujours apporté, mais j’ai toujours été clair, ce n’est pas un soutien inconditionnel et sans limite. Et j’ai d’ailleurs été clair lorsqu’il s’est agi de lutter contre le terrorisme du Hamas que nous avons condamné avec force le 7 octobre dernier. Nous avons soutenu toutes les opérations ciblées d’Israël, sa volonté de se protéger clairement du terrorisme. Mais en aucun cas, nous n’avons soutenu les opérations qui mettaient en danger la vie des civils. Et c’est pourquoi nous avons appelé dès la fin octobre 2023 à cesser le feu sur le territoire. Pour ce qui est de l’Iran, nous soutenons la sécurité d’Israël. Et donc, si Israël devait être attaqué dans le cadre d’une représaille par l’Iran, la France, compte tenu de ses engagements et si elle était en situation de le faire, participerait aux opérations de protection et de défense d’Israël.
Les réactions n’ont pas tardé à gauche, notamment toute la France insoumise s’est indignée par ces propos. La députée Aurélie Trouvé, ex-porte-parole d’Attac, désormais présidente de la commission des affaires économiques à l’Assemblée nationale, estime que la réaction du gouvernement français est en dessous de tout. Jean-Luc Mélenchon dit craindre une terrifiante escalade vers une guerre totale et Éric Coquerel était ce matin sur le plateau de Public Sénat. Alors lui milite pour une convocation du Conseil de sécurité de l’ONU pour demander que les armes cessent. On l’écoute.
“Israël ne se défend pas. Ils attaquent. Israël attaque en ce moment. Enfin, c’est quand même extraordinaire la manière dont on inverse les choses et dont malheureusement on prend un certain nombre d’éléments de langage du gouvernement israélien. Le gouvernement israélien explique : nous bombardons des cibles militaires, on attaque les civils. Bon, enfin, il y a regardez le nombre de morts des deux côtés pour voir que tout ça n’est pas possible. Maintenant, le gouvernement israélien explique qu’ils ont le droit de cibler là, c’est même plus le programme nucléaire, ils ont le droit de cibler personnellement des dirigeants du régime iranien. Bon, j’ai aucune sympathie pour les dirigeants du régime iranien. On s’est toujours opposé au régime des Mollahs. Donc là-dessus, on n’a pas de problème. Mais qu’Israël se prenne le droit en tant que gouvernement génocidaire qui n’a rien, je pense, à envier aux valeurs qui sont actuellement celles des Mollahs. Je vois pas aujourd’hui en quoi il pourrait défendre des valeurs universelles par rapport à un régime des Mollahs que nous condamnons. Je trouve que tout ça est sidérant et que c’est prendre un risque considérable dans la région.”
Sans grande surprise, à l’autre extrémité du spectre politique, le discours est radicalement différent. L’extrême droite française affiche un soutien sans réserve aux dérives autoritaires et messianiques du gouvernement israélien. Alors, il suffit d’écouter Éric Zemmour, reçu sur le service public.
“Pour lui, le 7 octobre justifie toutes les guerres d’Israël qui n’auraient désormais plus à se soucier du droit international. C’est la guerre, répète-t-il, en boucle. Et donc, selon lui, Netanyahou aurait carte blanche pour bombarder toute la région.
Ils ont compris qu’il y aurait une guerre éternelle. Moi, je ne crois pas aux possibilités de paix. Je ne crois pas aux possibilités de dire qu’il y a une guerre éternelle. Ça veut dire quoi ? Qu’Israël doit détruire tous ses voisins. Ça veut dire qu’il doit faire ce qu’il a fait. C’est-à-dire, il a détruit le Hamas, il a détruit le Hezbollah en Syrie, en protégeant les Druzes. Ouais. Et désormais, il attaque la maison mère de tous ces gens puisque tous ces gens n’étaient que les proxys, comme on dit, de la maison mère qui est l’Iran. Donc il attaque l’Iran, si vous voulez. Le 7 octobre a prouvé qu’il n’y aurait jamais de paix et que donc toutes les déclarations incendiaires des adversaires d’Israël devaient être prises au sérieux. Et c’est pour ça désormais qu’il bombarde la… Donc pour moi c’est la guerre.
Sur Cnews, même refrain. Israël serait le dernier rempart de l’Occident menant une supposée guerre civilisationnelle. Un récit creux qui sert d’alibi à tout jusqu’à l’innommable. Dans cette logique, la guerre devient légitime. La colonisation a un devoir et l’idéologie raciste de l’extrême droite israélienne est recyclée en défense des prétendues valeurs occidentales.
Vous avez tout à fait raison et tout d’abord, j’aimerais apporter mon soutien au peuple israélien, mon respect et mon admiration. Le peuple israélien a connu l’un des plus grands traumatismes de son histoire depuis la Seconde Guerre mondiale, le 7 octobre. Et dès le lendemain, ce peuple s’est relevé avec force. Ce peuple est doté d’une force morale et mentale incroyable. Et vous avez tout à fait raison, Anthony. Les Israéliens sont en train de jouer leur survie, mais les Israéliens sont en train de défendre nos valeurs, sont en train de défendre également la sécurité de l’Occident et la sécurité de l’Europe. Parce que la menace nucléaire iranienne menace tout l’Occident. Parce que des missiles iraniens peuvent très bien un jour toucher la France, parce qu’il y a déjà eu des attentats commandités par l’Iran sur notre sol. Et oui, vous avez raison, Anthony, Israël fait aujourd’hui le sale boulot.
Plusieurs acteurs internationaux ont réagi aux récentes tensions. L’ONU, l’Union européenne, l’OTAN, la Chine et le Royaume-Uni ont appelé à la modération. L’Allemagne a suivi une position proche de celle de la France en réaffirmant le droit d’Israël à se défendre. En revanche, des pays de la région comme la Turquie, l’Arabie Saoudite, le Qatar ainsi que les Émirats ont condamné les frappes israéliennes, les qualifiant de provocations graves. L’Irak, de son côté, a dénoncé une agression et accusé Israël d’avoir violé son espace aérien. La Russie a vivement critiqué ces attaques, les jugeant inacceptables et non provoquées. L’Union africaine, elle, met en garde contre un risque majeur pour la paix mondiale. Et enfin, l’Agence internationale de l’énergie atomique a tenu à rappeler une règle fondamentale : les installations nucléaires ne doivent jamais être ciblées.
L’attaque israélienne a logiquement poussé l’Iran à répliquer en bombardant à son tour. Alors, les missiles se croisent et le Dôme de fer a été mis à rude épreuve. Près de 250 morts sont à déplorer en Israël et en Iran depuis vendredi. Le bureau du Premier ministre israélien fait état de 24 morts, dont 11 dans la nuit de dimanche à lundi. Côté iranien, le dernier bilan parle d’au moins 224 morts et de plus d’un millier de blessés. Ce dimanche sur RTL, le ministre français des Affaires étrangères a qualifié de menace le programme nucléaire iranien non seulement pour Israël, mais aussi pour l’Europe. Au-delà de reprendre une fois de plus à son compte la propagande israélienne, il joue sur la panique morale de l’Occident.
L’historien israélien spécialiste de l’Iran, Agai Ram, a accordé un entretien à nos collègues de MédiaPart dans lequel il qualifie cette peur du nucléaire iranien d’irrationnelle, fabriquée et exploitée politiquement depuis des décennies. Il explique notamment que jamais l’Iran n’a directement menacé Israël. Il souligne que l’Iran est signataire du traité de non-prolifération, contrairement à Israël qui possède pourtant un arsenal nucléaire reconnu. Ce matin sur France Inter, Armelle Harfi, grand reporter au Point, a pointé cette dissonance de la situation. Il met en avant qu’Israël, en raison de son alliance avec les Occidentaux, bénéficie de passe-droits jamais remis en question.
“La suite de cette question : Israël a-t-il le droit à l’arme nucléaire et pas l’Iran ? Minarfil ou là, c’est la question à dollars, c’est la question de nos auditeurs. J’irai encore, je vais répondre, j’irai encore plus loin. L’Iran, Israël n’est pas signataire du traité de non-prolifération nucléaire à l’instar de l’Inde et du Pakistan, ces trois pays qui ont la bombe. L’Iran est signataire du traité de non-prolifération nucléaire, n’a pas pour l’instant la bombe atomique et se voit bombardé. Pour répondre à votre question, la réponse est simple. Il s’agit de l’allié des Occidentaux et le droit international à l’époque où il a été fixé a été fixé par les Occidentaux.”
Selon les experts, le but affiché par Israël de vouloir empêcher l’Iran d’accéder à l’arme nucléaire par la force est vain. Un démantèlement complet du programme iranien serait irréaliste. Même à grand renfort d’attaques ciblées, les missiles ne peuvent détruire les connaissances accumulées par les scientifiques iraniens. Difficile aussi d’atteindre toutes les installations, notamment les sites souterrains comme Fordow, ce site hautement sécurisé et hors de portée des armes israéliennes connues. Il faudrait donc que les États-Unis, qui disposent d’armes capables de frapper des bunkers, s’en mêlent. Pour l’heure, Donald Trump est persuadé qu’il est possible de parvenir facilement à un accord entre l’Iran et Israël pour mettre fin à ce conflit. Toutefois, il a mis en garde Téhéran.
“Si nous sommes attaqués de quelque manière que ce soit par l’Iran, toute la force et la puissance des forces armées américaines s’abattront sur vous à des niveaux jamais vus auparavant.”
Le président américain, allié d’Israël, a avoué lui-même qu’il avait été mis au courant des plans de l’État hébreu concernant l’Iran. Selon plusieurs médias dont l’AFP, l’armée israélienne a informé Washington durant le week-end qu’elle avait une opportunité d’éliminer le guide suprême iranien, l’Ayatollah Ali Khamenei. Donald Trump s’est quand même opposé à ce plan. “Les Iraniens n’ont pas tué d’Américains et la discussion sur le meurtre de dirigeants politiques ne devrait pas avoir lieu”, a assuré un membre de l’administration américaine. Face à cette opposition américaine, Benjamin Netanyahou a reculé, laissant croire à une fausse information. Depuis le début de son offensive, Israël a tué plusieurs hauts gradés iraniens, dont le chef des Gardiens de la révolution, le chef de l’état-major de l’armée ainsi que neuf scientifiques du programme nucléaire. Benjamin Netanyahou a également annoncé dimanche sur Fox News que le chef du renseignement iranien et son adjoint avaient été éliminés dans une frappe à Téhéran.
Après des décennies de guerre par procuration et d’opérations ponctuelles, c’est la première fois que les deux pays ennemis s’affrontent militairement avec une telle intensité. Pour certains analystes, l’offensive lancée par Netanyahou contre l’Iran vise aussi à saboter les pourparlers entre Téhéran et Washington sur le nucléaire. Mais ce coup de force pourrait se retourner contre Israël. De plus en plus d’experts craignent qu’en se sentant attaqué, le régime iranien accélère en secret sa course vers la bombe atomique.
Netanyahou s’appuie sur le consensus occidental autour de la menace nucléaire iranienne pour avancer ses pions. Ce conflit lui sert d’arme politique. Au-delà de la prétendue sécurité, il s’agit de détourner l’attention de la question palestinienne, d’empêcher toute perspective d’État palestinien et de consolider son pouvoir personnel, alors qu’il fait face à des accusations de corruption. Avec le conflit qu’il a engagé, il détourne l’attention médiatique qui se cristallisait depuis quelque temps autour de la situation à Gaza et des crimes de guerre commis par Israël, notamment mis en lumière par des initiatives militantes et citoyennes pour braver le blocus humanitaire.
L’historien Agai Ram défend dans son ouvrage “Iranophobia” l’idée que cette peur de l’Iran est une projection des angoisses israéliennes sur leur propre devenir, en particulier en ce qui concerne l’évolution religieuse et autoritaire du pays. Israël et le régime des Mollahs partagent de nombreuses caractéristiques politico-religieuses, notamment un messianisme fort, une centralité religieuse dans la vie politique et des figures charismatiques autoritaires. L’animosité entre les deux régimes serait donc, selon lui, alimentée autant par leur ressemblance que par leurs différences.
Le 12 juin 2025, en Israël, un mouvement de jeunesse d’extrême droite a tenu une conférence avec plusieurs ministres du gouvernement Netanyahou. Le ministre du Patrimoine y a appelé à l’annexion de la Cisjordanie, de Gaza, de la Syrie et du Liban dans le cadre du projet biblique du Grand Israël. Il a lié cette ambition à une vision religieuse radicale. Son discours ouvertement expansionniste et théologique a été acclamé, des propos qui font écho à ceux qu’il a tenus en mai dernier.
“Si la population de Gaza souffre, le Hamas souffrira. Il n’y a aucun problème à bombarder leur réserve de nourriture et de carburant. Ils devraient mourir de faim.”
Il avait aussi déclaré auparavant que larguer une bombe atomique sur Gaza était une option. Comme le rappelle le média indépendant Contre-Attaque, lors de cette même conférence, d’autres ministres comme celui des Communications ou des Finances ont également défendu l’annexion complète de la Cisjordanie et de Gaza, assumant ainsi pleinement le projet de nettoyage ethnique de la région.
Le 29 mai dernier, Israël a officialisé la création de 22 nouvelles colonies en Cisjordanie, acte salué comme “historique” par le ministre de la Défense, Israël Katz, au mépris total du droit international. Depuis octobre 2023, le mouvement des colons, fort de 500 000 membres en Cisjordanie, multiplie les violences. Ils s’emparent également de maisons, de terres et commettent des exactions telles que des pillages, des destructions et parfois même des massacres envers le peuple palestinien.
L’offensive israélienne contre l’Iran n’est pas un simple épisode militaire, c’est un point de bascule. Pour la première fois, après des années de guerre indirecte et d’opérations clandestines, deux puissances régionales s’affrontent à visage découvert. Cette escalade, loin d’être accidentelle, semble calculée. Elle vise à redessiner les lignes du pouvoir au Moyen-Orient, à repousser toute pression internationale sur la question palestinienne et à saboter toute dynamique diplomatique entre l’Iran et les États-Unis. Netanyahou s’inscrit dans une stratégie bien connue, celle du fait accompli. En invoquant sans cesse la légitime défense et en agitant le spectre du nucléaire, il cherche à sanctuariser une impunité totale pour ses actions à Gaza, en Cisjordanie, à Beyrouth, à Damas, à Téhéran et partout ailleurs. Mais ce récit sécuritaire ne tient plus. Les faits sont là. Israël mène une politique expansionniste, suprémaciste, coloniale et ouvertement belliqueuse à l’échelle régionale. La question n’est plus seulement de savoir si l’Iran va se doter de l’arme nucléaire. La question aujourd’hui, c’est combien de morts faudra-t-il encore pour que la communauté internationale cesse d’avaliser les crimes de guerre sous couvert d’une alliance stratégique ? Le silence des puissances occidentales n’est pas neutre. Il se fait complice de la politique dévastatrice de Netanyahou.