Face à la colère qui gronde contre le pouvoir en place au Togo, la Cedeao, l’organisation sous-régionale s’est finalement exprimée, mais avec une prudence qui laisse sceptiques bien des Togolais. Entre appels à la retenue et crainte de s’aliéner ses membres, la CEDEAO avance sur une ligne de crête, au risque de s’éloigner des attentes des populations qu’elle prétend représenter.
La crise politique qui secoue le Togo depuis plusieurs semaines met à l’épreuve la capacité des institutions régionales à agir avec fermeté et impartialité. Face aux tensions croissantes, la CEDEAO, longtemps critiquée pour son silence, a finalement appelé les parties prenantes à la retenue et au dialogue. Un positionnement qui suscite toutefois scepticisme et désillusion au sein de la société togolaise, et plus largement au sein des peuples de la sous-région.
Pour nombre d’observateurs, la réaction de la CEDEAO intervient trop tardivement et manque de la vigueur attendue dans de telles circonstances. Si l’organisation régionale a condamné les violences et appelé au dialogue, elle peine à convaincre sur sa volonté réelle de défendre les intérêts des populations plutôt que ceux des dirigeants en place. Selon Doni, analyste politique, « les organisations interrégionales et africaines ont montré leurs limites. Il y a des restrictions géostratégiques et diplomatiques qui font qu’elles s’expriment avec beaucoup de retenue ». Cette prudence, pour ne pas dire frilosité, nourrit le sentiment d’abandon chez de nombreux Togolais.
La légitimité de la CEDEAO en question
La CEDEAO traverse une crise de légitimité profonde. Son action est perçue comme trop flexible, parfois volatile, et incapable d’assumer des positions claires lorsqu’il s’agit de défendre les droits fondamentaux. L’organisation est critiquée pour ne pas être assez à l’écoute des peuples, et pour entretenir des liens ambigus avec les régimes en place. Cette crise de confiance s’est accentuée avec le départ de plusieurs États membres (notamment ceux de l’AES) et l’apparition de nouvelles zones de tensions, y compris au sein même de la communauté.
Dans le cas togolais, l’organisation s’est d’abord fendue d’un communiqué jugé « froid » lors de la révision constitutionnelle controversée, avant de rétropédaler face à la pression du pouvoir. Une attitude qui interroge sur sa capacité à incarner une CEDEAO « des peuples » et non des seuls gouvernants.
Aujourd’hui, l’institution apparaît comme en sursis, prise en étau entre la défense des intérêts des peuples et la préservation de la stabilité régionale. Dans le contexte togolais, toute position trop tranchée risquerait de provoquer une nouvelle vague de sécessions ou d’alimenter la défiance vis-à-vis de l’organisation, alors que plusieurs pays sont confrontés à des crises similaires. La proximité du Togo avec les processus de médiation régionale, son implication dans les dossiers sensibles de la sous-région, renforcent la prudence des instances communautaires.
Pour l’analyste politique Pierre Alavo , « il serait dramatique que le Togo prenne ses distances avec la CEDEAO, d’autant que d’autres pays sont susceptibles d’adopter le même comportement à la moindre crise ».
Une gouvernance à réinventer
Après plus de cinquante ans de règne de la famille Gnassingbé, une majorité de la population togolaise aspire à l’alternance et au respect des droits fondamentaux. Il s’agit donc désormais pour la CEDEAO, mais aussi pour l’Union africaine, de répondre aux attentes d’une jeunesse mobilisée, exigeant plus de transparence, d’inclusion et de justice sociale.
Pour de nombreux Togolais, l’espoir d’un changement viendra d’abord de leur propre engagement, plus que de la communauté internationale. La défiance envers les institutions africaines – CEDEAO comme Union africaine – se nourrit de leur incapacité à régler efficacement les conflits internes, laissant souvent les peuples livrés à eux-mêmes.
L’appel au dialogue lancé par la CEDEAO suscite de nombreuses interrogations : « Si l’on veut un véritable dialogue, il faut une écoute sincère et le courage de poser les vrais problèmes », souligne Doni. Pour beaucoup, la solution à la crise ne réside pas tant dans l’intervention d’un médiateur extérieur que dans la capacité des élites togolaises à écouter et à intégrer les aspirations profondes de leur peuple. L’Église catholique togolaise, par exemple, s’est déjà montrée disposée à jouer ce rôle d’écoute et d’apaisement.
Au final, le Togo donne l’image d’un pays à la croisée des chemins, où le dialogue national sincère et inclusif reste la seule issue viable pour sortir de l’impasse. Face à une CEDEAO sur la défensive, appelée à une refonte profonde pour regagner la confiance des populations, la société togolaise s’organise pour affirmer ses droits et reprendre en main son destin.