Au Bénin, une affaire de corruption présumée secoue le jeune parti politique Le Libéral. À sa tête, Richard Boni Ouorou, politologue et entrepreneur de 49 ans, récemment revenu d’exil au Canada pour porter ce projet politique, se retrouve depuis mai 2025 au cœur d’une enquête politico-judiciaire qui fait grand bruit.
Le parti « Le Libéral » a émergé récemment sur la scène politique béninoise, se voulant une nouvelle offre politique conforme à la réforme du système partisan de 2018. Fondé par Richard Boni Ouorou – un analyste politique béninois ayant fait carrière à l’étranger avant de revenir au pays – ce mouvement a suscité un certain engouement populaire à son lancement.
Ses membres fondateurs ont déposé en août 2024 un dossier de création auprès du ministère de l’Intérieur, conformément à la charte des partis politiques modifiée en 2019. La procédure administrative s’est toutefois révélée longue et exigeante car le ministère a relevé de nombreuses insuffisances (un rapport initial de 65 pages de corrections a été notifié le 26 septembre 2024), obligeant les promoteurs à soumettre un dossier corrigé le 25 octobre 2024. De nouvelles lacunes (dix pages de remarques) ont encore été signalées en décembre 2024, entraînant des allers-retours et des séances de travail supplémentaires.
Malgré ces obstacles, le dossier final du parti a été approuvé en avril 2025, ce qui a permis la délivrance d’un récépissé provisoire officialisant Le Libéral en tant que parti politique légalement reconnu. Ce feu vert administratif a notamment permis la tenue du congrès constitutif du parti le 5 avril 2025 à Cotonou, marquant l’entrée officielle de Le Libéral dans l’arène politique. Le parti de Richard Boni Ouorou, se revendiquant d’une idéologie libérale comme son nom l’indique, commençait alors à se positionner comme une alternative politique émergente au Bénin.
Les faits récents ayant déclenché l’affaire
C’est au moment d’entamer l’enregistrement définitif du parti – étape suivant l’obtention du récépissé provisoire – que le processus a basculé dans le scandale. Le 15 mai 2025, le ministre de l’Intérieur Alassane Séïbou fait une déclaration publique diffusées dans les médias affirmant que des démarches illicites auraient été entreprises en vue de faciliter l’obtention du récépissé du parti Le Libéral en échange de sommes d’argent importantes. Alerté en amont par « des sources dignes de foi », le ministre révèle qu’une affaire de corruption impliquerait deux cadres de son ministère et le responsable du parti en création.
Plus précisément, un agent de la Direction des Affaires intérieures et des Cultes aurait approché le promoteur du parti pour lui proposer une “facilitation” du dossier moyennant finance, proposition à laquelle ce dernier aurait adhéré. Cet agent aurait ensuite sollicité la complicité d’un collègue de la Direction des Partis politiques et des Affaires électorales, en lui promettant à son tour une rétribution. Ainsi, les deux fonctionnaires auraient perçu des paiements du dirigeant du parti en échange d’un traitement accéléré du dossier, d’après les explications du ministre.
Face à la gravité de ces soupçons, la réaction officielle a été immédiate. Alassane Séïbou a suspendu les deux cadres incriminés de leurs fonctions administratives et a saisi les forces de l’ordre. « J’ai diligemment instruit le Directeur général de la Police républicaine de faire interpeller les intéressés ainsi que le présumé corrupteur, et d’activer la Brigade économique et financière pour clarifier la situation », a-t-il annoncé, tout en soulignant que des poursuites judiciaires suivraient. Le ministre de l’Intérieur a inscrit son action dans le cadre de la moralisation de la vie publique. Il a notamment rappelé que cette affaire intervient alors que la réforme du système partisan vise justement à renforcer la transparence, et a martelé que le respect de la légalité et de l’éthique doit être la règle à tous les niveaux de l’administration.
Le rôle de Richard Boni Ouorou dans cette affaire
En tant que président-fondateur du parti Le Libéral, Richard Boni Ouorou est au cœur de ce dossier en tant que principal suspect du côté des civils. D’après les éléments communiqués par la justice, c’est lui qui aurait engagé la transaction financière litigieuse avec les agents publics. Le procureur spécial près la Cour de Répression des Infractions Économiques et du Terrorisme (CRIET), Mario Mètonou, indique que M. Ouorou aurait promis un total de 12 millions de francs CFA aux deux fonctionnaires impliqués pour assurer l’aboutissement du dossier d’enregistrement.
Lors des enquêtes préliminaires, l’homme d’affaires aurait reconnu avoir déjà versé 7 millions de CFA en plusieurs tranches aux fonctionnaires en question. Selon le détail rapporté, un premier paiement d’environ 1 million de FCFA a eu lieu avant le congrès du 5 avril 2025, suivi de deux versements successifs de 3 millions chacun les 26 et 28 avril 2025. Ces fonds auraient transité vers le directeur des Partis politiques et des Affaires électorales du ministère, via le second cadre intermédiaire.
Les versions divergent toutefois quant au montant exact versé. Le directeur des Partis politiques incriminé aurait affirmé aux enquêteurs n’avoir reçu “que” 5 millions de FCFA, et non 7 millions, selon le procureur. Malgré ces écarts, les faits rapportés par l’accusation s’analysent en une infraction de corruption d’agent public au sens du code pénal béninois. Richard Boni Ouorou, de son côté, conteste avoir commis une corruption. S’il admet avoir remis de l’argent aux agents, il nie que ce fut pour acheter un service. D’après son avocat, « Monsieur Ouorou n’a jamais remis d’argent dans le but d’obtenir une quelconque prestation. Les fonds ont été versés après l’obtention du récépissé provisoire », affirme-t-il, soutenant que le timing exclurait la qualification de corruption.
En clair, la défense de M. Ouorou soutient qu’aucun paiement illégal n’a été fait pour obtenir le récépissé – insinuant qu’il pourrait s’agir de transactions ultérieures sans lien de causalité avec la délivrance du document officiel.
Positions officielles et réactions médiatiques
Du côté des autorités béninoises, la position semble être rigoureuse et ferme. La tolérance zéro est affichée envers la corruption dans le processus d’enregistrement des partis. Le procureur spécial Mario Mètonou a publiquement détaillé les allégations, confirmant que des sommes d’argent ont bien été convenues et versées à des agents publics en contrepartie du récépissé provisoire du parti Le Libéral. Les trois mis en cause (Richard Boni Ouorou et les deux fonctionnaires) ont été inculpés pour « corruption d’agent public », un délit grave.
Le ministère public a donc requis leur placement en détention provisoire durant l’instruction, requête suivie par le juge des libertés au vu des éléments présentés. Pour Mario Mètonou, procureur spécial de la Criet, ces faits sont réprimés par le Code pénal et passibles de peines lourdes allant de 5ans à 10 ans de réclusion criminelle.
La défense de Richard Boni Ouorou, pour sa part, a réagi vigoureusement dans les médias. Quelques heures après l’annonce de son inculpation et de sa mise en détention provisoire, ses avocats ont affiché leur détermination à obtenir sa libératio. Me Yssaine Yovogan, membre du collectif de défense, a exprimé sa stupeur face à la tournure des événements. Il a qualifié de « surprenante » la décision du juge d’instruction de placer son client sous mandat de dépôt, estimant qu’ils espéraient au contraire une remise en liberté à ce stade. Selon lui, « les charges retenues ne sont pas fondées » et les éléments constitutifs de l’infraction ne seraient pas réunis, ce qui rendrait la détention provisoire injustifiée.
L’avocat souligne en particulier que tous les coaccusés auraient convenu que Richard Boni Ouorou n’a pas d’implication directe dans un acte de corruption, un élément qui, d’après la défense, devrait jouer en sa faveur. Le collectif d’avocats promet de mobiliser toutes les voies de droit pour obtenir la remise en liberté du politologue, martelant que « l’infraction n’est pas constituée » juridiquement d’après leur analyse du dossier.
Implications politiques et juridiques
L’onde de choc politique de cette affaire est non négligeable pour le jeune parti Le Libéral. L’arrestation puis l’incarcération de Richard Boni Ouorou, figure centrale et moteur de ce mouvement, portent un coup d’arrêt brutal à la dynamique qu’il avait commencé à impulser. Alors que Le Libéral « commençait à peine à se positionner comme une alternative dans le paysage partisan » béninois, son avenir immédiat est désormais suspendu aux décisions judiciaires à venir. Sans son leader libre de ses mouvements, le parti aura du mal à exister sur le terrain politique. Les activités de mobilisation et de structuration sont de facto paralysées. Cette situation pourrait potentiellement priver Le Libéral d’une participation effective aux prochaines échéances électorales (comme les générales de 2026), à moins d’un dénouement judiciaire rapide en faveur de M. Ouorou. L’image du parti en pâtit également, l’affaire jetant une ombre sur le discours de renouveau et de probité porté par Richard Boni Ouorou jusqu’ici.
Sur le plan strictement judiciaire, les enjeux sont tout aussi lourds pour les protagonistes. Les faits reprochés – corruption active de fonctionnaires – sont qualifiés de crime par le code pénal. La loi béninoise prévoit une peine de réclusion criminelle de 5 à 10 ans pour ce type d’infraction, assortie de lourdes amendes et de confiscations éventuelles des sommes illégalement versées. Si Richard Boni Ouorou et ses coaccusés étaient reconnus coupables à l’issue d’un procès, ils encourraient donc potentiellement jusqu’à une décennie d’emprisonnement, ce qui scellerait durablement le sort politique du leader de Le Libéral. En outre, une condamnation pour corruption pourrait s’accompagner d’une déchéance éventuelle de ses droits civiques, selon les dispositions légales applicables, empêchant l’intéressé de briguer des fonctions électives pendant une certaine période – bien que ce point dépendra du verdict précis.
Pour l’heure, toutefois, nous n’en sommes pas là. L’affaire est toujours au stade de l’instruction et n’a pas encore été jugée sur le fond. Le dossier a été confié à la Commission d’instruction de la CRIET, qui poursuit les investigations afin de rassembler les preuves nécessaires. Deux issues sont possibles à l’issue de l’instruction : soit un renvoi devant la chambre de jugement de la CRIET pour y être jugés, soit un non-lieu si le juge estime que les charges ne sont pas suffisamment étayées.
Dans cette attente, aucune date de procès n’est annoncée à ce stade. Richard Boni Ouorou ainsi que les deux fonctionnaires coaccusés demeurent en détention provisoire à la prison civile de Missérété, conformément à l’ordonnance du juge des libertés du 22 mai 2025. Leur détention pourrait durer de nombreux mois, voire plus d’un an, compte tenu de la complexité du dossier, sauf évolution notable (mise en liberté provisoire sous conditions, par exemple, si la défense parvient à l’obtenir lors d’une requête ultérieure).
En attendant l’issue judiciaire, les implications politiques restent spéculatives mais potentiellement significatives. Cette affaire envoie un message fort aux acteurs politiques béninois quant aux risques de tout arrangement illégal : la création d’un parti, encadrée par des règles strictes, ne saurait tolérer des passe-droits monnayés. Si les faits sont avérés, cela viendrait valider la stratégie gouvernementale de lutte contre la corruption, mais au prix d’un discrédit durable jeté sur un nouvel acteur politique qui se présentait comme un vecteur de changement. Inversement, si Richard Boni Ouorou venait à être blanchi (par un non-lieu ou un acquittement), cela poserait la question d’une éventuelle instrumentalisation ou d’un zèle excessif dans l’application des règles. Quoi qu’il en soit, le cas du parti Le Libéral fera sans doute jurisprudence dans l’opinion : il rappelle aux autres formations émergentes que la transparence et l’éthique doivent primer dans leurs démarches, sous peine de sanctions exemplaires.
Chronologie des événements principaux
- 2 août 2024 – Dépôt du dossier de création du parti Le Libéral au ministère de l’Intérieur par les fondateurs. Le dossier est enregistré sous le numéro 5544 et examiné conformément à la loi sur les partis politiques de 2018.
- 26 septembre 2024 – Le ministère notifie officiellement aux promoteurs du parti des insuffisances majeures dans leur dossier (pas moins de 65 pages d’observations) qu’il leur faut corriger pour obtenir le récépissé.
- 25 octobre 2024 – Le Libéral dépose un dossier corrigé auprès du ministère de l’Intérieur, après avoir tenté de répondre point par point aux 65 pages d’observations initiales.
- Décembre 2024 – Nouvelle évaluation du ministère : dix pages d’insuffisances supplémentaires sont signalées malgré les corrections apportées. Des séances de travail et échanges se poursuivent entre l’administration et les responsables du parti pour finaliser le dossier.
- Avril 2025 – Le dossier final est jugé conforme aux exigences légales. Le ministère délivre un récépissé provisoire à Le Libéral, qui devient ainsi un parti officiellement enregistré (sous réserve d’un enregistrement définitif ultérieur).
- 5 avril 2025 – Le Libéral organise son congrès constitutif à Cotonou, profitant de l’obtention du récépissé provisoire pour lancer publiquement ses activités politiques. Richard Boni Ouorou y apparaît en leader d’un nouveau parti légalement reconnu.
- 26 et 28 avril 2025 – Versement de deux sommes de 3 millions FCFA chacun par Richard Boni Ouorou à un des cadres du ministère de l’Intérieur, d’après ses propres déclarations lors de l’enquête. Ces paiements – précédés d’un versement initial d’1 million avant le congrès – auraient été effectués dans l’optique de faciliter l’aboutissement du dossier du parti. (Ces faits sont ceux qui seront plus tard qualifiés de corruption présumée par l’accusation.)
- 15 mai 2025 (matin) – Alassane Séïbou, ministre de l’Intérieur, révèle publiquement qu’une enquête interne a mis au jour des démarches frauduleuses autour de l’enregistrement du parti Le Libéral. Il évoque des versements d’argent en échange de l’accélération de la procédure et annonce avoir saisi la justice. Le même jour, il prononce la suspension de deux cadres de son ministère soupçonnés d’implication et alerte la Brigade Économique et Financière (police spécialisée).
- 15 mai 2025 (après-midi) – Interpellation de Richard Boni Ouorou à Cotonou par la Police Républicaine (Brigade économique et financière), ainsi que l’arrestation de plusieurs membres de son équipe rapprochée pour besoin d’enquête. Les deux fonctionnaires du ministère mis en cause sont également appréhendés dans le cadre de la même affaire, conformément aux instructions du ministre de l’Intérieur.
- 16 mai 2025 – Perquisition menée par la police au domicile et dans les bureaux de Richard Boni Ouorou, à Abomey-Calavi. Les documents et équipements informatiques susceptibles d’éclairer l’affaire sont saisis. Le même jour, après audition, tous les responsables du parti arrêtés la veille sont relâchés, à l’exception de M. Ouorou lui-même qui est maintenu en garde à vue compte tenu de la gravité des faits présumés.
- Fin de semaine du 15–17 mai 2025 – Un homme d’affaires proche de Richard Boni Ouorou est à son tour cité dans l’enquête et interpellé en fin de semaine. Son rôle exact n’est pas encore élucidé, mais sa détention alimente les spéculations sur l’étendue d’un éventuel réseau impliqué dans l’affaire.
- 21 mai 2025 (après-midi) – Transfert de Richard Boni Ouorou devant la CRIET (Cour de Répression des Infractions Économiques et du Terrorisme) à Porto-Novo. Il est conduit, menottes aux poignets, dans les locaux du parquet spécial de la CRIET en début d’après-midi, accompagné de ses avocats, pour être présenté au procureur spécial Mario Mètonou. Deux cadres du ministère de l’Intérieur (le directeur des Partis politiques et son collègue des Affaires intérieures) comparaissent également, étant mis en cause dans la même procédure.
- 21 mai 2025 (nuit) – Audition fleuve à la CRIET : les trois mis en cause sont entendus successivement par le procureur, puis par un juge d’instruction. En fin de soirée, le juge d’instruction inculpe formellement Richard Boni Ouorou et les deux fonctionnaires pour corruption d’agent public, estimant qu’il existe des indices sérieux de culpabilité. Cette inculpation formelle ouvre la voie à une détention provisoire en attendant les décisions à venir.
- 22 mai 2025 (vers 3 h du matin) – Décision de placement en détention provisoire : à l’issue d’une audience nocturne, le juge des libertés et de la détention de la CRIET ordonne le dépôt en prison de Richard Boni Ouorou et de ses deux coaccusés. La décision tombe peu avant l’aube, après les plaidoiries de la défense (qui réclamait la mise en liberté) et les réquisitions du parquet (qui réclamait le contraire). Richard Boni Ouorou est écroué à la prison de haute sécurité de Missérété, tout comme le directeur des Partis politiques et le cadre des Affaires intérieures, désormais détenus en attente de leur jugement.
- Depuis le 22 mai 2025 – Instruction en cours : l’affaire suit son cours devant la CRIET. Aucune date de procès n’est encore fixée à ce jour, la phase d’enquête approfondie se poursuivant afin de rassembler tous les éléments de preuve. Richard Boni Ouorou et ses coaccusés demeurent en détention provisoire pendant ce temps. Ses avocats ont introduit des démarches juridiques pour tenter d’obtenir sa mise en liberté provisoire, arguant du caractère contestable des charges, mais en l’absence d’évolution notable, le leader du parti Le Libéral reste incarcéré en attendant la décision finale de la justice béninoise.