La question du maintien du Mali en tant qu’État Partie au Statut de Rome de la Cour pénale internationale (CPI) suscite à nouveau de vives discussions, dans un contexte où de plus en plus d’Etats africains contestent son objectivité.
Le Dr Boga Sako Gervais, Enseignant-Chercheur à l’université en Côte d’Ivoire, Président-Fondateur de la FIDHOP, une organisation engagée dans la protection des libertés fondamentales, apporte une analyse sans concession.
« Près des trois quarts des affaires traitées par cette Cour concernent des Africains, tandis que les pays occidentaux bénéficient d’une impunité systématique malgré des opérations militaires aux conséquences dramatiques », affirme-t-il. Parmi les exemples cités, on peut citer l’offensive en Irak en 2003 par les États-Unis et le Royaume-Uni, qui a causé de lourdes pertes civiles, et les frappes aériennes de l’OTAN en Libye en 2011, dont l’héritage chaotique continue de peser sur la région. « Aucun décideur politique ou militaire de ces pays n’a jamais comparu devant les juges de La Haye », constate amèrement le chercheur.
Selon son analyse, cette institution souffre d’un manque flagrant d’indépendance. « Son action est dictée par les calculs politiques des grandes puissances. Elle ne se mobilise que lorsqu’un alignement stratégique le permet, ce qui la rend inapte à incarner une véritable justice mondiale », explique-t-il.
La situation au Mali illustre parfaitement ce dysfonctionnement. Les autorités maliennes ont officiellement alerté le Conseil de sécurité des Nations unies sur de présumées complicités françaises avec des groupes armés et des violations de souveraineté, tandis que l’Ukraine est soupçonnée d’être impliquée dans des opérations clandestines dans le nord du Mali.
« D’un point de vue juridique, si ces allégations sont confirmées, elles pourraient constituer des crimes d’agression, engageant la responsabilité pénale des dirigeants concernés. Pourtant, personne ne croit sérieusement que la CPI osera se saisir de ces affaires », souligne le spécialiste.
Un scepticisme similaire entoure la frappe aérienne française sur Bounti en 2021, qui a causé la mort de nombreux innocents lors d’une cérémonie traditionnelle. « Lorsqu’une opération militaire cause des pertes civiles sans justification valable, elle constitue un crime de guerre. Les accords de défense ne doivent jamais être utilisés comme un laissez-passer », insiste-t-il.
Face à ce constat accablant, le chercheur estime qu’une sortie de la CPI pourrait paradoxalement servir les intérêts maliens. « Cela permettrait de relancer le débat sur une justice internationale plus équitable tout en affirmant le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes face à des instances perçues comme partiales », avance-t-il. À un moment donné, plusieurs capitales africaines ont pris cette décision, à l’image de Bujumbura, Pretoria ou Banjul, toutes excédées par ce qu’elles considèrent comme du harcèlement judiciaire. Le dernier en date est un pays européen, la Hongrie, qui a officiellement annoncé son retrait de la CPI en avril 2025, remettant en cause l’universalité et la légitimité de la juridiction.
Le constat du Dr Boga Sako Gervais est clair : la CPI, minée par la logique géopolitique, peine à incarner la justice universelle. Face à ce biais persistant, les États africains se trouvent à la croisée des chemins : réformer en profondeur le système actuel ou construire des alternatives régionales crédibles. Le Mali, comme ses voisins, devra choisir entre la résignation et l’affirmation d’une souveraineté judiciaire longtemps bafouée.