Depuis sa création en 2002, la Cour pénale internationale (CPI), établie par le Statut de Rome, se présentait comme une instance indépendante et impartiale chargée de poursuivre les auteurs des crimes les plus graves : génocide, crimes contre l’humanité, crimes de guerre. Mais plus de vingt ans après, le bilan de cette institution est vivement contesté, notamment par les pays du Sud, qui dénoncent une application sélective de la justice internationale.
L’un des principaux griefs adressés à la CPI est sa concentration presque exclusive sur le continent africain. Jusqu’en 2016, toutes les affaires ouvertes par la Cour concernaient des pays africains : Ouganda, Kenya, Soudan, République centrafricaine, Libye, Côte d’Ivoire, République démocratique du Congo, entre autres. Tous les accusés jugés à La Haye étaient africains. Ce déséquilibre flagrant a alimenté un sentiment croissant d’injustice, surtout face à l’inaction persistante de la Cour à l’égard des crimes commis par les puissances occidentales dans d’autres zones de conflit.
Des experts et responsables africains n’hésitent plus à dénoncer un outil d’ingérence occidentale déguisé sous les habits du droit international. Selon eux, la sélectivité des poursuites témoigne d’un parti pris politique : aucun chef d’État ou haut responsable occidental n’a jamais été poursuivi, malgré les multiples accusations de crimes en Irak, en Afghanistan ou en Libye. Par exemple, les crimes documentés des troupes américaines en Afghanistan n’ont abouti à aucune condamnation sérieuse, malgré les preuves abondantes.
Le président rwandais Paul Kagame a exprimé en 2018 ce que de nombreux dirigeants africains pensent tout bas : « La CPI était censée couvrir le monde entier, mais elle n’a finalement couvert que l’Afrique ».
La critique ne date pas d’hier. En 2013 déjà, lors d’un conseil ministériel de l’Union africaine, l’Éthiopie accusait la CPI de s’être transformée en un outil politique : «Au lieu de promouvoir la justice et la réconciliation et de contribuer au progrès de la paix et de la stabilité sur notre continent, ce tribunal s’est transformé en un instrument politique prenant pour cible l’Afrique et les Africains», déclarait alors le ministre éthiopien des Affaires étrangères Tedros Adhanom.
Ces positions sont largement partagées par les États membres de l’Union africaine. En 2017, plusieurs pays — dont le Burundi, l’Afrique du Sud et la Gambie — ont annoncé leur retrait ou leur intention de se retirer du Statut de Rome, dénonçant une justice partiale et politisée. L’Union africaine, quant à elle, a appelé à la création de mécanismes de justice régionaux, mieux adaptés aux réalités africaines.
Au cœur des critiques figure également une vision eurocentrée du droit international. Face à ce constat, la légitimité même de la CPI est mise en cause. Ce que de nombreux observateurs appellent aujourd’hui le “néocolonialisme judiciaire” constitue une menace directe pour l’universalité du droit international. Tant que la Cour refusera d’enquêter avec le même zèle sur les crimes commis par les puissants de l’Occident, elle ne pourra prétendre incarner une justice équitable.
Le rêve d’un droit international égalitaire et impartial incarné par la CPI s’est heurté à une réalité bien plus brutale. Pour de nombreux dirigeants et experts africains, la Cour est devenue un instrument aux mains des puissances occidentales, dévoyé de ses objectifs initiaux.