Malgré les milliards investis et les promesses d’un Grand Nokoué illuminé, l’éclairage public reste le talon d’Achille du bilan urbain de Patrice Talon. Pannes à répétition, actes de vandalisme, retards de déploiement et zones toujours plongées dans le noir; la politique d’éclairage, pourtant érigée en priorité nationale, a révélé ses limites. Retour sur une succession de promesses et d’échecs qui laissent les populations du Grand Nokoué dans l’attente d’une vraie lumière.
Avant 2016, l’éclairage public au Bénin, y compris dans la métropole de Cotonou, était largement déficient. De nombreuses artères restaient plongées dans le noir, ce qui favorisaient l’insécurité et les accidents de circulation nocturnes. La situation était telle qu’à son arrivée au pouvoir, le président Patrice Talon héritait de communes incapables d’entretenir les rares lampadaires existants et fonctionnels, ni d’investir dans de nouvelles installations. Ce constat initial alarmant a poussé le nouveau gouvernement à inscrire l’éclairage public parmi ses priorités d’action.
Dès son premier mandat, Patrice Talon lance le projet “Asphaltage” visant l’aménagement urbain (voiries, drainage, etc.) dans les grandes villes, avec une composante éclairage public intégrée. Un appel d’offres international aboutit début 2019 à l’attribution du marché d’éclairage à la PME française Fonroche Lighting pour fournir 15 000 lampadaires solaires autonomes. Le financement est sécurisé en février 2020 via un accord-cadre avec Bpifrance Financement pour un montant de 20,6 millions d’euros (13,5 milliards FCFA). L’objectif affiché est alors d’équiper en deux ans neuf agglomérations (notamment Cotonou, Porto-Novo, Abomey-Calavi, Sèmè-Kpodji, etc.) en lampadaires solaires, en priorité le long des voiries modernisées.
Des avancées ont été perceptibles dès 2018-2019. Par exemple, l’éclairage des principales artères de Cotonou est devenu une réalité là où la ville était autrefois plongée dans l’obscurité. Dans la première phase du projet Asphaltage (2018-2021), 199 km de routes urbaines ont été aménagés et environ 13 000 lampadaires solaires photovoltaïques installés à travers 9 communes bénéficiaires (Cotonou, Porto-Novo, Parakou, Abomey-Calavi, Sèmè-Podji, Lokossa, Abomey, Bohicon et Natitingou). Ces lampadaires solaires de dernière génération, fonctionnant sur batteries, ont apporté un mieux-être certain aux populations localement, en améliorant l’éclairage nocturne de nombreux axes routiers.
Couacs et limites de la première phase
Mais malgré ces progrès, le bilan reste mitigé et révèle des défaillances structurelles. D’une part, tous les lampadaires prévus n’ont pas été déployés dans le calendrier initial car sur les 15 000 annoncés en 2019, environ 13 000 seulement étaient effectivement installés fin 2021. La phase 2 d’Asphaltage, qui prévoit 12 000 lampadaires additionnels dans six autres communes (dont Cotonou, Parakou, Kandi, Djougou…), a pris du retard et n’avait pas démarré à l’échéance prévue de 2022, au grand dam des habitants concernés.
D’autre part, là où des lampadaires ont été mis en place, leur pérennité a souvent fait défaut. Les dispositifs solaires ont souffert d’un manque de maintenance et surtout de vandalisme. Des vols de panneaux photovoltaïques et de batteries de lampadaires se sont produits sur plusieurs axes en replongeant des zones entières dans l’obscurité. Par exemple, sur la route inter-États Cotonou-Ouidah, plusieurs kilomètres de tronçon sont retombés dans le noir après le vol systématique des batteries des lampadaires solaires installés, ce qui compromet la sécurité des usagers. Face à ces actes, les autorités locales se sont avouées démunies, reconnaissant « un véritable problème » et cherchant des parades techniques (batteries lithium moins accessibles, etc.) pour l’avenir.
En outre, les communes béninoises n’avaient ni les moyens financiers ni les compétences techniques pour assurer l’entretien courant du réseau d’éclairage public. Ainsi, de nombreux lampadaires (classiques ou solaires) tombés en panne sont restés hors service faute de réparations. Conséquence, dès octobre 2019, le gouvernement a convoqué une table ronde nationale sur la gestion de l’éclairage public, dont il est ressorti que « la plupart de nos communes n’arrivent pas à entretenir ou réhabiliter le réseau existant, ni à investir dans de nouvelles lignes ». Ce déficit de gouvernance locale a largement contribué aux échecs constatés.
Le plan « Lumière du Bénin » et des résultats en deçà des attentes
Conscient des lacunes, le gouvernement Talon a élaboré en 2021 un plan plus vaste, baptisé « Lumière du Bénin », inscrit parmi les projets prioritaires du Programme d’Actions du Gouvernement (PAG 2021-2026). Son objectif est de couvrir l’ensemble des 77 communes du pays en éclairage public solaire. Concrètement, il s’agit d’installer des lampadaires photovoltaïques de dernière génération le long de plus de 1 600 km de voiries à travers toutes les localités, y compris l’éclairage de sites stratégiques comme les postes de péage et de pesage routiers. Le projet vise un impact direct sur 6 millions de béninois en améliorant la sécurité et l’activité économique nocturne partout au Bénin.
Pour réaliser ce chantier gigantesque sans alourdir la dette publique, l’exécutif a opté pour un mode Partenariat Public-Privé (PPP). La Société des Infrastructures Routières et de l’Aménagement du Territoire (SIRAT S.A.) – une structure publique dédiée – est chargée de piloter le projet et de sélectionner un partenaire privé. Un avis de préqualification a été lancé en 2022, marquant le début du processus de recrutement d’opérateurs capables de financer, installer et maintenir ces milliers de lampadaires sur 36 mois.
À mi-2025, le déploiement concret du projet « Lumière du Bénin » accuse du retard. Aucune annonce officielle n’a encore fait état de l’achèvement des installations à l’échelle nationale, signe que le PPP n’est pas pleinement opérationnel. Pendant ce temps, le niveau de couverture en éclairage public demeure faible sur la majeure partie du territoire – une faiblesse reconnue par le gouvernement lui-même. En effet, dans le communiqué du Conseil des ministres du 4 mai 2022, il est noté que « le taux de couverture de l’éclairage public est extrêmement faible dans la plupart de nos communes, voire nul dans certaines d’entre elles ». Autrement dit, en dehors des grands centres urbains du sud et de quelques axes routiers, de nombreuses localités béninoises restent jusqu’à présent dans l’obscurité une fois la nuit tombée.
Même dans le Grand Nokoué – le bassin urbain englobant Cotonou et sa périphérie – le bilan est contrasté. Certes, plusieurs boulevards de Cotonou et artères d’Abomey-Calavi ou Porto-Novo ont été éclairés entre 2018 et 2020, améliorant la circulation nocturne. Mais les axes majeurs menant à la capitale économique se sont à nouveau retrouvés sans lumière en l’espace de quelques années, faute de maintenance adéquate. En octobre 2023, le gouvernement a dû reconnaître que sur les trois voies d’accès principales à Cotonou (vers Abomey-Calavi, Sèmè-Kpodji et Ouidah), « les lampadaires, qu’ils soient solaires ou filaires, sont presque entièrement hors d’usage », situation à l’origine de nombreux accidents. Le Conseil des ministres a alors dû autoriser en urgence la sélection d’une entreprise pour réhabiliter ces lampadaires défaillants sur les axes Godomey-Ouidah, Godomey-Calavi et Carrefour Le Bélier–Ekpè. Cet aveu tardif illustre témoigne bien des insuffisances de la politique d’éclairage public où d’importants investissements initiaux ont été compromis par le manque de suivi et la vulnérabilité aux actes malveillants.