Le mécontentement enfle au sein des transporteurs nigériens, confrontés à une insécurité croissante et à une impasse diplomatique prolongée entre Niamey et Cotonou. Le 18 mai 2025, l’attaque meurtrière d’un convoi de marchandises sur le corridor burkinabé a ravivé la colère d’un secteur déjà fragilisé par deux années de fermeture de la frontière avec le Bénin. Mahamadou Gamaté, secrétaire général de la centrale syndicale Union des Travailleurs du Transport et Assimilés du Niger (Uttan), a donné de la voix dans une interview au ton grave.
Le convoi, en provenance du port de Lomé et transitant par le Burkina Faso, a été attaqué à la frontière avec le Niger. Le Bilan fait état de trois chauffeurs tués, plusieurs blessés, deux disparus avant d’être secourus par l’armée, et trois camions de la société Ariba brûlés. « C’est un drame de trop », a déclaré Gamaté au micro de Rudolph Karl, visiblement éprouvé. Il rappelle que ce n’est pas un cas isolé et que les transporteurs vivent au quotidien sous la menace des groupes armés actifs sur cet axe.
Suite à cette attaque, l’Uttan a publié un communiqué pour demander une meilleure sécurisation des convois. Mais ce texte a valu à son signataire une interpellation par les autorités nigériennes. « On m’a reproché d’avoir parlé avant le communiqué officiel », confie Gamaté. On lui reproche notamment d’avoir évoqué la possibilité de rouvrir la frontière avec le Bénin — un sujet hautement sensible dans le contexte diplomatique actuel. Pour lui, informer les transporteurs et demander une protection accrue relève simplement de sa responsabilité syndicale.
Depuis la fermeture de la frontière avec le Bénin en juillet 2023, les autorités nigériennes ont opté pour un contournement via le Burkina Faso. Un choix présenté comme stratégique, mais qui se révèle de plus en plus dangereux. Gamaté décrit ce corridor comme « un mouroir pour les transporteurs », un axe coûteux en vies humaines et en pertes matérielles.
Il appelle les autorités à « mettre de l’eau dans leur lait » et à reconsidérer l’usage du corridor béninois, qu’il décrit comme « le plus court, le plus sûr et le plus économique ». Il insiste sur le fait que sa proposition n’est pas un désaveu politique mais une alternative pragmatique pour préserver des vies et soutenir l’économie nationale.
« Si les présidents Tiani et Talon ont un problème personnel, qu’ils nous en épargnent », a-t-il lancé, tout en rappelant que le Bénin a rouvert sa frontière et tend la main à la normalisation. Pour lui, il s’agit désormais d’une urgence humanitaire et économique.
Des pertes économiques considérables
Pour le syndicaliste, la situation que vivent les transporteurs est des plus dramatique. Il décrit le calvaire des chauffeurs stationnés pendant des mois dans des conditions précaires, les pertes pour les propriétaires de camions, les frais fixes qui continuent de courir malgré l’inactivité. « Un camion qui faisait quatre rotations par mois avant la crise en fait une seule en trois mois aujourd’hui », alerte-t-il. Et quand un camion brûle, ni l’État ni les assurances ne prennent en charge les dommages.
« Nous avons perdu des camarades, des amis. Ils laissent derrière eux des femmes et des enfants que nous devons soutenir. »
Selon Gamaté, la majorité des transporteurs, commerçants et opérateurs économiques partagent ce sentiment, mais n’osent plus s’exprimer. La peur des représailles freine les revendications. « Ceux qui nous gouvernent ont eu le soutien de 98 % des Nigériens. Ils doivent entendre nos appels, pas les réprimer », lance-t-il.
« S’il y a un problème entre lui et le président Talon, qu’il nous épargne cela. Nous sommes des transporteurs, pas des politiciens. »
Notons que la crise diplomatique entre le Bénin et le Niger trouve son origine dans le coup d’État militaire survenu au Niger le 26 juillet 2023, qui a renversé le président élu Mohamed Bazoum. En réaction, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), dont le Bénin est membre actif, a imposé une série de sanctions contre le régime militaire de Niamey, incluant la fermeture des frontières terrestres.
Le Bénin a appliqué strictement ces sanctions, notamment en bloquant les exportations et les importations à destination et en provenance du Niger via son port de Cotonou, un axe logistique stratégique pour le pays enclavé. Cette décision a été perçue à Niamey comme un alignement direct sur les positions de la CEDEAO et une hostilité politique de la part du président béninois Patrice Talon.
Malgré l’allègement progressif des sanctions par la CEDEAO en 2024, les tensions entre les deux États se sont maintenues. Le Niger a choisi de maintenir la fermeture de sa frontière avec le Bénin, préférant réorienter ses flux commerciaux vers Lomé via le Burkina Faso. Cependant, ce choix expose les transporteurs nigériens à des risques accrus dans une zone en proie à l’insécurité djihadiste.
Deux ans après la fermeture, la situation reste bloquée, bien que le Bénin ait officiellement rouvert sa frontière. Les appels à la désescalade se multiplient, notamment du côté des syndicats de transporteurs nigériens, qui demandent la reprise des échanges via le corridor béninois, jugé plus sûr et plus rentable économiquement. « Ce que nous vivons, c’est l’échec d’un entêtement diplomatique », conclut Mahamadou Gamaté, en appelant à une solution africaine, fondée sur le pragmatisme et la fraternité entre les peuples.